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ces épizooties alors si fréquentes venait s’abattre sur leur bétail et décimer leurs troupeaux, les habitans de Domremy avaient l’habitude de s’adresser aux bourgeois de Neufchâteau, qui leur confiaient souvent des bestiaux à nourrir pendant la saison d’été, moyennant une rétribution fixée à l’avance. Lorsque la détresse était à son comble, on allait trouver les « Lombards » et au besoin les juifs, dont les petites colonies éparses dans tous les centres commerciaux de quelque importance exploitaient et pressuraient de vieille date les principales villes de la Lorraine. Ces rapports d’intérêts entre le village natal de la Pucelle et le marché le plus voisin de ce village nous expliquent pourquoi, sur les quatre parrains de la fille de Jacques d’Arc, nous en trouvons un originaire de Neufchâteau, Jean Barré ou Barrey, et aussi deux de ses quatre marraines, Édette, femme dudit Jean Barrey et Jeannette, mariée à Thiesselin de Vittel. Guillaume Frontey, mentionné comme témoin dans l’acte du 7 octobre 1423, dont il a été question plus haut et que l’on sait avoir présidé, en qualité de curé de Domremy, aux diverses phases de la vie religieuse de Jeanne, Guillaume Frontey se rattachait par sa naissance, ainsi que Jean Barrey, Edette Barrey et Jeannette Thiesselin, à la bourgeoisie, lorraine de nom, mais si française de cœur, de Neufchâteau.

La plupart des historiens de Jeanne d’Arc ont commis une profonde méprise lorsqu’ils se sont représenté Domremy comme un recoin perdu et pour ainsi dire isolé du reste du monde ; une route, extrêmement fréquentée vers la fin du moyen âge, traversait, au contraire, ce village. Cette route était l’ancienne voie romaine de Langres à Verdun qui passait par Neufchâteau, Domremy, Vaucouleurs, Void, Commercy et Saint-Mihiel. Elle avait acquis encore plus d’importance depuis que le mariage de Philippe le Hardi avec Marguerite, fille de Louis de Male, avait réuni dans la même main la Flandre, l’Artois et la Bourgogne. Cette réunion avait eu pour effet d’activer les échanges entre les possessions extrêmes des princes bourguignons, et ces échanges avaient continué de se faire en majeure partie par le grand chemin qui, de temps immémorial, partait de Dijon et du plateau de Langres pour gagner les plaines de la Belgique en suivant une direction parallèle au cours de la Meuse et en longeant la rive gauche de ce fleuve entre Neufchâteau et Domremy. La situation de Neufchâteau en avait fait de bonne heure l’un des entrepôts les plus considérables de ce transit. L’une des principales branches du commerce de cette ville, du moins à la fin du XIVe siècle et pendant tout le cours du XVe, était l’exportation dans les pays de la basse Meuse et jusqu’en Flandre, des vins de Bourgogne en général et de Beaune en particulier ; on employait au