Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/796

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

stérilité, on aurait eu à peine assez d’eau pour remplir un des anciens lits. Il ne fallait pas songer à s’imposer de longs travaux et une dépense énorme pour arriver à un résultat douteux. Des sondages opérés dans le désert, pour voir s’il ne serait pas possible d’établir une ligne de puits pour alimenter d’eau un chemin de fer, firent naître dans l’esprit des officiers russes les doutes les plus sérieux sur le succès d’une pareille entreprise. C’est ainsi qu’ils furent amenés, par ces éliminations successives, à trouver une route dont les avantages sont fort supérieurs à tout ce qu’ils avaient rêvé.

En 1875, le colonel Baker, au retour d’un voyage d’exploration qu’il avait accompli le long des frontières de la Perse, en compagnie du lieutenant du génie Gill, déplorait l’imprévoyance dont la diplomatie anglaise faisait preuve à Téhéran. On avait souffert que la Perse abandonnât sans conteste à la Russie tout le désert transcaspien ; on ne l’excitait même pas à maintenir ses droits de suzeraineté sur la chaîne du Kuren-Dag, d’où descendent de nombreux coure d’eau, ni même sur la vallée de l’Attreck, qu’elle délaissait pour n’avoir point à la défendre contre les incursions des Turcomans-Tekkés. Le colonel Baker signalait l’importance de cette région, abondante en eau et en fourrages, qui, par une route facile, conduisait à moitié chemin de Merv. Les Russes, qui avaient déjà établi un port militaire sur la côte orientale de la Caspienne, à Krasnovodsk, ne furent pas longtemps à reconnaître le parti qu’ils pouvaient tirer de cette région que la Perse abandonnait au premier occupant. Il y avait là mieux que cette route de l’Euphrate, dont les hommes d’état anglais se montraient si fort préoccupés, et mieux qu’aucune route qu’on aurait pu tenter de s’ouvrir à travers le territoire afghan. On avait une base d’opération toute trouvée dans l’armée permanente du Caucase, qui est une force indépendante, et dont l’effectif est maintenu constamment à 220,000 hommes, savoir : 70,000 hommes de troupes régulières, avec une réserve toujours disponible de 50,000 hommes ; 50,000 hommes de troupes auxiliaires, tant infanterie que cavalerie, recrutés parmi les Circassiens et les Géorgiens, et enfin 50,000 hommes de cavalerie légère que doivent fournir, au premier appel, les Cosaques cantonnés entre la Mer-Noire et la Caspienne. Rien de plus facile que de prélever sur cette armée un corps expéditionnaire que la flottille à vapeur de la Caspienne transporterait en deux jours à Krasnovodsk ou aux bouches de l’Attreck. Que la Russie devînt maîtresse de Merv, la route à parcourir par ses troupes, de la Caspienne à l’Hériroud ou au Mourghab, se trouvait immédiatement réduite des quatre cinquièmes, et, ce qui était peut-être plus important encore, les difficultés matérielles qui rendaient impossible une marche vers l’Afghanistan disparaissaient.