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Il passa le temps de son exil à Paris, où il se livra à une étude spéciale des grands écrivains français. Depuis son retour à Djakovo, pendant les quinze dernières années, il s’est abstenu scrupuleusement de toute action politique ; il ne veut même pas siéger à la diète de la Croatie, pour qu’on ne puisse pas l’accuser d’apporter l’appui de ses sympathies à l’agitation et à l’opposition qui fermentent dans le pays. On sait à Vienne et à Pest qu’il déplore le mode actuel d’union entre la Croatie et la Hongrie. On dit que sa manière de voir est celle du « parti des indépendans » (neodvisne stranké), dont les principaux chefs sont des hommes très estimés dans leur pays et même dans toute l’Autriche, le président de l’Académie, Racki et le comte Yojnoritch ; mais l’évêque de Djakovo reste à l’écart. Il croit assurer l’avenir de sa nation surtout en y suscitant la vie intellectuelle et scientifique. Ce qui est l’œuvre de l’esprit est inattaquable et survit. Dans ce domaine, la force est impuissante. « En marchant dans cette voie, a-t-il dit quelque part, rien, non, rien au monde ne pourra nous empêcher d’accomplir la mission à laquelle la Providence semble nous appeler parmi nos frères de sang de la péninsule balkanique. »

Dès 1860, Strossmayer avait démontré la nécessité de fonder à Agram une académie des sciences et des arts, et il avait ouvert la souscription publique par un don de 200,000 francs, qu’il augmenta encore notablement. Depuis lors, le pays tout entier répondit a son appel : plus de 800,000 francs furent réunis, et le 28 juillet 1867, fut inauguré le nouvel établissement dont la Croatie était justement fière. Le grand évoque y prononça un discours resté célèbre, où il vante, en termes d’une magnifique éloquence, le génie de Bossuet et de Pascal. L’Académie a publié soixante-sept volumes de ses annales, intitulées Rad, « Travail », et spécialement consacrées à l’histoire de la Croatie, et elle a commencé la publication d’un grand Dictionnaire de la langue croate, sur le modèle de ceux de Grimm et de Littré.

Au mois d’avril 1867, au sein de la diète d’Agram, Strossmayer avait démontré la nécessité pour la Croatie d’avoir une université, et, à cet effet, il mit 150,000 francs à la disposition de son pays. Au mois de septembre 1866, le jour où l’on célébrait le trois-centième anniversaire du Léonidas croate, le ban Nikolas Zrinyski, il prononça un discours qui, répandu partout, souleva un enthousiasme indescriptible en faveur d’une œuvre essentiellement scientifique. La souscription monta bientôt à un demi-million, et l’université fut inaugurée le 19 octobre 1874. Les fêtes furent, pour le noble initiateur de tant d’œuvres utiles, plus qu’un triomphe ; ce fut une apothéose, et jamais il n’y en eut de plus méritée. Le ban ou gouverneur général, qui présida à la cérémonie, était Ivan