Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/827

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avant chaque repas, un chapitre de l’évangile et un autre de l’Imitation. La conversation s’engage. Elle est toujours intéressante, grâce à la verve, à l’esprit, à l’érudition de W Strossmayer. Je parle des industries locales des paysans. Je rappelle que j’ai vu précédemment à Sissek, un dimanche, au sortir de la messe, les paysannes vêtues de chemises brodées en laine de couleurs vives qui étaient des merveilles : « Nous faisons tous nos efforts, répond l’évêque, pour maintenir ce goût traditionnel. A cet effet, nous avons établi à Agram un petit musée, où nous collectionnons des types de tous les objets d’ameublement et de vêtement confectionnés dans nos campagnes. Nous tâchons ensuite de répandre les meilleurs modèles. Ce sera une des branches de l’enseignement dans notre académie des beaux-arts. M. Krsujavi s’en occupe spécialement et il prépare des publications à ce sujet. « Ce qui est extraordinaire, dit M. Krsujavi, c’est que ces broderies, où se révèle toujours une entente parfaite de l’harmonie et du contraste des couleurs, et qui sont parfois de vrais chefs-d’œuvre d’ornementation, sont faites d’instinct, sans dessin, sans modèle. C’est une sorte de talent inné chez nos paysannes : il se forme peut-être par la vue de ce qu’elles ont sous les yeux, mais elles ne copient pas cependant. Il en est de même pour la confection des tapis. Cela vient-il des Turcs, qui eux-mêmes n’ont fait que reproduire, en tons plus voyans, les dessins de l’art persan ? J’en doute ; car les décorations slaves sont plus sobres de couleur et les dispositions sont plus géométriques, plus sévères, moins « fleuries. » Cela rappelle le goût de la Grèce antique et on les retrouve chez tous nos Slaves du midi et jusqu’en Russie. « N’oublions pas, reprit l’évêque, que cette contrée où nous sommes et où ne survit plus en fait d’arts que celui qui nous fournit le pain et le vin, je veux dire l’agriculture, la Slavonie, a été, à deux reprises différentes, le siège d’une haute et brillante culture littéraire et artistique. Dans l’antiquité, Sirmium était une grande ville où florissait dans toute sa gloire la civilisation romaine. Nos fouilles mettent au jour, à chaque instant, des restes de cette époque. Puis, au moyen âge, seconde période de splendeur : une véritable renaissance, comme vous allez vous en convaincre à l’instant. Plus tard sont venus les Turcs. Ils ont tout brûlé, tout anéanti, et, sans le christianisme, ils nous auraient ramenés aux temps de la barbarie primitive. »

L’évêque fait apporter des vases sacrés en or et en argent. Ils proviennent de la Bosnie, qu’il visitait au temps où il en était encore le vicaire apostolique. Il y a des crosses, des croix, des calices qui datent du Xe jusqu’au XIVe siècle et qui sont admirables. Voici un calice en émail cloisonné, style byzantin ; un autre avec des ciselures et des gravures pur roman ; un troisième fait penser aux