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incontestée et alimentent les services publics, se videront pour fournir des soldats.

Une telle loi portait en elle sa clarté : les débats ont montré au grand jour le secret dessein de ses auteurs. Le moindre était de faire une œuvre militaire. Les conséquences du changement pour l’avenir de nos forces ont été indiquées à peine, l’on n’a poursuivi avec zèle, applaudi avec chaleur que l’œuvre politique et sociale. Elle était bonne parce qu’elle nivelait : elle apportait à la démocratie la joie de soulager ceux qui portent plus que leur part et la joie plus grande de charger ceux qui avaient échappé au fardeau. Chose étrange, en effet, cette démocratie prenait un plaisir inégal à faire à tous une condition égale, les réformes à accomplir lui étaient d’autant plus chères qu’elles concernent moins de personnes et ont moins d’importance pour l’armée. Le sort du contingent la passionnait moins que celui des anciens volontaires, et celui des volontaires que celui des anciens dispensés. Eux seuls en réalité étaient en cause, et dès qu’il s’est agi d’eux, les mots opposés de prolétaires et de bourgeois, de riches et de pauvres ont soudain laissé voir sous le voile déchiré de l’égalité les haines des classes. Ce n’est pas le respect de la justice commune qui emportait en ces fureurs les mandataires du peuple, c’est la volupté des représailles contre les supériorités sociales. La richesse en est une et aussi l’intelligence ; ils ont, à la jeunesse qui réclamait le temps d’apprendre et de produire, répondu comme la révolution à Lavoisier qui demandait aussi du temps pour ses découvertes : « La république n’a pas besoin de chimistes. » On a dit : « A la caserne ! » du même air qu’à d’autres époques on disait : « A la prison ! » A la caserne ceux dont la fortune insulte à la détresse du peuple ; leur sort y sera par le contraste plus dur que celui du pauvre ! A la caserne ceux dont le savoir humilie l’ignorance du peuple ; que leur esprit avide y trouve sa torture dans l’oisiveté ! Sans doute, tous dans le parlement n’avaient pas ce fanatisme. Nombre d’entre eux auraient voulu ne porter atteinte ni aux carrières ni aux fonctions publiques. Parmi les fonctions une surtout avait été tenue pour essentielle par la république : celle du maître d’école. Peut-être la république aurait-elle épargné ces fils du peuple qui enseignent les fils du peuple. Mais d’autres éducateurs avaient le même privilège : les prêtres. C’est à eux qu’elle voulait enlever l’empire des intelligences, c’est eux qu’elle rêvait d’anéantir par un coup décisif. Elle n’osait pas arrêter leur recrutement par une loi qui les condamnât seuls à servir, mais, pour les perdre, elle n’hésitait pas à supprimer toutes les immunités ; aucune ruine n’était trop vaste pourvu que le sacerdoce y demeurât enseveli.