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les sous-officiers et les soldats trop de quinze ans de services et voulait des effectifs au complet. C’est avec cette armée qu’elle compté pourvoir à la défense des intérêts lointains. Elle lui assigne même un rôle dans la guerre continentale, s’avise que même en Europe ces vieux soldats ne seront pas inutiles, et les proclame supérieurs aux jeunes. Ils auront acquis « pur une longue pratique du métier des armes des qualités exceptionnelles, » et formeront a un corps d’élite d’une incomparable vigueur, une admirable réserve qui, jetée à propos sur un champ de bataille, pourrait décider de la victoire[1]. »

Que vaut le remède ? Quelque chose ou rien selon l’emploi. Le rôle permanent des troupes qu’on veut former sera la garde des colonies. Si elles ne comprennent guère que les effectifs nécessaires aux garnisons, elles ne peuvent ni assembler leurs forces ni les opposer à un adversaire imprévu. Pour toute opération de quelque importance, il faudra réclamer, comme il l’a fallu deux fois, le concours de l’armée continentale, et les mêmes difficultés qu’on croit apaisées seront encore à résoudre. Si l’on veut y mettre fin, il est nécessaire que les troupes coloniales aient des effectifs toujours libres et ils doivent être assez considérables pour soutenir seuls les querelles qui peuvent mettre en conflit les nations civilisées avec les nations barbares.

Or leur querelle sera la grande lutte des temps qui s’ouvrent. Le globe, qui semble moins vaste à mesure qu’il est plus connu, est désormais trop petit pour que la civilisation et la barbarie se le partagent et y vivent séparées. L’activité dus peuples qui produisent sera leur ruine, s’ils ne trouvent dans ceux qui ne produisent pas des consommateurs. Voilà pourquoi les territoires et autant qu’eux les marchés et les routes du commerce sont dans le monde entier disputés. Chaque nation les recherche avec un soin d’autant plus hâtif qu’il en reste moins à occuper, s’en saisit comme de gages compensateurs contre les avantages obtenus par les nations rivales, et chacune, dans la poursuite de sa primauté particulière, exécute la loi générale portée contre la barbarie. Or celle-ci oppose’ une résistance croissante. Les terres vacantes ou occupées par de faibles races ne sont plus à prendre : le monde civilisé entre en contact avec les grandes agglomérations de l’Asie et de l’Afrique. Elles ont l’intelligence du péril qu’elles courent, empruntent à ceux qu’elles redoutent leurs armes, leur tactique ; pour lutter contre la civilisation, la barbarie prend la civilisation à sa solde. Aussi les guerres deviennent sérieuses. A Madagascar, au Soudan, au Tonkin, des

  1. M. Ballue, rapport au nom de la commission de l’armée, 1883.