Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/872

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’effectif entretenu dépassera de 200,000 le chiffre fixé en 1872, il atteindra 700,000 hommes.

Quel accroissement de dépenses produira l’accroissement de l’effectif ? Les calculs officiels évaluent à 725 francs le coût de chaque soldat. Si la somme est suffisante pour un soldat de l’armée continentale, elle est trop faible à coup sûr pour un soldat de l’armée coloniale. Les primes, les retraites, le prix plus élevé de la nourriture dans les pays chauds, les frais de transport portent au moins au double le coût d’un homme. L’entretien de ces 200,000 hommes coûtera par an plus de 200 millions.

Que l’on contemple maintenant les avantages assurés à la France par la réforme. Elle ne diminue pour personne la durée du service : depuis longtemps déjà la portion du contingent qui sert le plus longtemps ne demeure pas plus de trois années sous les drapeaux. Elle augmente la durée du service pour plus de la moitié des appelés : ceux qui étaient exempts, ceux qui, inscrits dans la seconde portion du contingent, servaient un an, serviront trois. Personne ne gagne, la majorité perd à cette réforme accomplie au nom du peuple. Elle lui prépare, par l’universalité du fardeau militaire, un état dont la rigueur épouvante. Quand les anciens voulaient exprimer le dernier terme de la misère pour une cité vaincue, ils disaient : « La jeunesse fut emmenée en esclavage. » Cet esclavage, ordonné par les prétendus serviteurs du peuple, va s’abattre durant trois années sur toute la jeunesse française. Dans cette saison qui sépare l’enfance de la virilité comme la fleur de la récolte, et qui tient toute l’espérance de la vie suspendue à la sérénité du printemps, chaque génération sera tout entière arrachée au sol où elle jetait ses racines. On la replantera, il est vrai, trois ans après. On verra alors combien garderont assez de sève pour rattacher leur existence nouvelle à l’ancienne, et dans cette armée funeste à elle-même combien de penseurs, de savans, d’ouvriers, d’hommes enfin auront été tués par le soldat ! Elle épargnera du moins au pays la cruauté des souffrances lentes. Le nombre sur lequel elle fonde sa force, l’accable. Pour enrôler tout le monde, elle doit atteindre des effectifs que jamais puissance n’a comptés : pour les entretenir engager des dépenses que les finances les plus florissantes ne sauraient supporter. L’essai du système est le déficit, sa durée la banqueroute.


III

Plus d’un politique le sait et s’en accommode. Le service de trois ans était populaire ; l’intérêt a obligé à le promettre, la difficulté de