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l’établir dispensera de tenir parole. La loi qui le consacre est une affiche électorale. Il faut qu’elle frappe les yeux au jour du vote qui s’approche. Elle se déchirera ensuite d’elle-même. Elle n’est rien si le sénat ne la vote ; on le persuadera de ne pas donner sa sanction, quitte à le dénoncer pour l’avoir refusée. D’autres soucis détourneront l’attention, le peuple met plus de bonheur à former ses désirs qu’à les réaliser, et le service de trois ans, s’il l’amuse jusqu’à un nouvel espoir, aura duré assez longtemps.

Ces habiles oublient eux-mêmes que les âmes simples prennent tout au sérieux ; surtout elles n’entendent pas raillerie sur les biens qu’on leur promet, et peu importe qu’ils soient impossibles si elles les tiennent pour nécessaires. Le châtiment de ceux qui trompent le peuple est sa foi. Les hommes qui depuis des années lui annoncent la réforme militaire ignorent leur propre puissance s’ils le supposent capable d’être distrait ou patient. Quand il exigera, comment résisteront-ils, eux qui ont voté la mesure et la vont promettre encore ? Ils attendent le lendemain des élections pour être fermes, mais dans un pays parlementaire, n’est-on pas toujours à la veille des élections ? Ils ont établi le service de trois ans : dès la prochaine législature il le faudra appliquer. Par cela même qu’on imposera aux finances cette surcharge, il sera impossible de constituer les troupes coloniales. Eu établissant le nouveau régime, on renoncera au remède qui aurait atténué le mal. Le triomphe de l’égalité en sera plus grand, et la démocratie en jouira tout d’abord. Mais le fardeau supporté par les autres ne diminue pas le poids du fardeau qu’on porte soi-même. Au bout de peu de temps chacun sera las du sien, irrité des impôts accrus, effrayé des ateliers déserts, honteux des écoles vides, et, tout à coup, de toutes les campagnes et de toutes les villes s’élèvera la voix de la France réclamant ses fils. Dès lors le service de trois ans ne pourrait durer que si la nécessité du sacrifice demeurait évidente. Cette évidence n’existe pas pour le pays. Les partisans du service à court terme lui ont enseigné que la science militaire consiste à donner à la mémoire la familiarité de certains préceptes et au corps l’habitude de certains mouvemens et que l’armée est l’école de cette science. Il leur a suffi, pour ruiner le service de cinq ans, d’affirmer que trois ans suffisent à cette instruction. Mais l’oreille qu’ils ont convaincue reste ouverte et, pour ruiner le service de trois ans, il suffira de prouver qu’un moindre temps suffit à dresser les hommes. La preuve déjà n’est plus à faire. Le prestige du chiffre si célébré a reçu sa première atteinte par la loi même qui le consacre. Les hommes entrent au service à la fin de novembre, ils le quitteront dans le cours de la troisième année après les grandes manœuvres, c’est-à-dire au commencement de