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Dieu pour assurer le salut de son pays. L’enlèvement, puis la restitution du bétail de Greux et de Domremy, la victoire remportée par les défenseurs du Mont-Saint-Michel, l’invasion du Barrois par les Anglais, voilà les trois faits principaux qui ont précédé immédiatement et qui expliquent, du moins dans une certaine mesure, la première apparition de l’archange Michel à la petite Jeannette d’Arc.

La guerre de la succession de Lorraine, qui éclata presque au lendemain de ces événemens, vint mettre le comble aux calamités dont souffraient les populations de la rive gauche de la Meuse. Neveu de Charles II, duc de Lorraine, Antoine de Lorraine, celui-là même auquel Jeanne de Joinville avait eu recours pour obtenir la restitution du bétail enlevé à ses hommes, Antoine de Lorraine avait succédé, vers la fin de 1415, en qualité de comte de Vaudemont et de seigneur de Joinville, à Ferry, son père, tué à Azincourt au service de la France. En 1417, Antoine avait épousé Marie de Harcourt, sœur de ce Jean de Harcourt, comte d’Aumale, qui devait s’illustrer quelques années plus tard en défendant victorieusement la Normandie et le Mont-Saint-Michel, dont il était capitaine, contre l’invasion anglaise. Retenu par une telle alliance ainsi que par la tradition paternelle, on aurait pu croire que l’héritier des seigneurs de Joinville resterait fidèle au parti français ; mais il s’en était détaché insensiblement lorsqu’il avait vu son oncle, le duc de Lorraine, qui n’avait pas d’héritiers mâles, marier Isabelle, sa fille aînée, à René d’Anjou, reconnu, grâce à l’habile politique de la reine Yolande sa mère, héritier présomptif des deux duchés de Bar et de Lorraine. En haine de la reine Yolande, belle-mère du dauphin Charles, depuis Charles VII, en haine de René d’Anjou, beau-frère du jeune prince, Antoine de Lorraine, après beaucoup d’hésitations, après avoir gardé pendant plusieurs années une attitude indécise et équivoque, avait fini par jeter le masque et s’était rallié au parti anglo-bourguignon dont il était devenu l’un des principaux chefs dans la région orientale du royaume.

Dès le 20 mars 1419, en vertu de son contrat de mariage avec Isabelle de Lorraine, fille aînée de Charles II, René d’Anjou avait été reconnu habile à succéder à son beau-père au cas où celui-ci viendrait à mourir sans héritier mâle. Antoine de Lorraine, dont ces arrangemens de famille ruinaient les espérances, en conçut un profond dépit ; mais il put espérer, jusqu’à un certain point, que le temps et les événemens pourraient les modifier. Le 13 janvier 1425, le duc Charles rédigea un testament qui enlevait au comte de Vaudemont, son neveu, ses dernières illusions. Il y confirmait solennellement la cession faite six ans auparavant à son gendre, qui prêta serment, le lendemain, comme héritier présomptif du duché de Lorraine. En même temps, pour couper court aux visées ambitieuses