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notre libelle le retient en scène, et pour lui faire jouer un fort vilain rôle. Furieux d’être abandonné par Armande, il aurait « fait apercevoir à Molière que le grand soin qu’il avoit de plaire au public lui ôtoit celui d’examiner la conduite de sa femme ; et que, pendant qu’il travailloit pour divertir tout le monde, tout le monde cherchoit à divertir sa femme. » Une grosse querelle conjugale suit naturellement cette confidence. Armande joue la comédie des larmes ; elle avoue son penchant pour Guiche, mais elle proteste que « tout le crime a été dans l’intention, » ne dit mot de Lauzun, demande un pardon qu’elle obtient sans peine, et profite de la crédulité de son mari pour continuer ses intrigues « avec plus d’éclat que jamais. » Cette fois, elle y met une indifférence de cœur, une régularité et une âpreté au gain qui la rangent parmi les femmes galantes de profession. Elle prend une entremetteuse en titre, la Châteauneuf, et ne refuse aucun des nombreux amans que cette matrone lui présente « pendant qu’elle fait languir une infinité de sots qui la croient d’une vertu sans exemple. » Ne voilà-t-il pas deux choses assez difficiles à concilier, « l’éclat » d’une vie galante et une cour d’amoureux transis ? Cependant Molière, averti de nouveau, se met dans une fureur violente et il menace sa femme « de la faire enfermer. » Nouvelle scène de cris et de larmes ; mais, au lieu de s’humilier une seconde fois, Armande le prend de haut, et exige une séparation. En vain, sa famille, celle de Molière, leurs amis communs essaient de l’apaiser : « Elle conçut dès lors une aversion terrible pour son mari, elle le traita avec le dernier mépris ; enfin, elle porta les choses à une telle extrémité que Molière, commençant à s’apercevoir de ses méchantes inclinations, consentit à la rupture qu’elle demandoit incessamment depuis leur querelle ; si bien que, sous arrêt du parlement, ils demeurèrent d’accord qu’ils n’auroient plus d’habitude ensemble. » Il y eut donc non pas séparation judiciaire, comme l’a cru Tralage, mais séparation à l’amiable. D’autres témoignages s’accordant ici avec celui de la Fameuse Comédienne, on peut tenir le fait pour assuré.


VI

Cette rupture ne saurait être antérieure au mois d’avril 1666, car à cette époque Armande donnait à son mari un second enfant : une fille qui eut pour parrain M. de Modène et pour marraine Madeleine Béjart. Peu de temps après, Molière tombait malade ; nous le savons par Robinet, qui annonce, le 21 février 1666, sa guérison et sa rentrée au théâtre. Si l’on admet que le Misanthrope reflète quelque chose de l’état d’esprit du poète et de ses sentimens envers sa