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on s’accommoderait aussi volontiers, pour cet office, de Cinna, voire de Sertorius, ou de Mithridate. Écouter une comédie d’une bonne époque, c’est se mêler presque à l’entretien de personnages bien nés, comme il s’en trouvait jadis pour parler naturellement le français, et cela n’a pas mauvaise façon. Comique ou tragique, une des œuvres que nous regrettons serait la bienvenue, le mardi et le jeudi, chez M. Perrin. M. Porel, d’autre part, a ses chambrées populaires du lundi, qui se retrouvent à peu près les mêmes, enrichies seulement d’écoliers, dans l’après-midi du dimanche. C’est ici une collection de braves gens, désireux à la fois d’être émus ou amusés et de s’instruire, le tout à prix réduit. Petits bourgeois, commis, étudians, ils accourent à l’Odéon comme dans un lieu de divertissement et aussi dans une école littéraire qui serait aux écoles d’enfans ce qu’est le catéchisme de persévérance au petit catéchisme. Ils prennent du plaisir et croient trouver du profit à Louis XI et au Voyage à Dieppe ; pourquoi ne pas user de leur facilité pour leur donner des chefs-d’œuvre ? Ils les accepteraient aussi bien. Enfin, si deux couches de la société aussi distantes, ici et là, sont également bien disposées pour les classiques, il est à croire que les intermédiaires ne sont pas hostiles ; acclamés le dimanche et le lundi à l’Odéon, choyés le mardi et le jeudi à la Comédie-Française, il serait surprenant que, les autres jours, ici ou là, les mêmes ouvrages fussent rebutés : aussi ne le sont-ils pas. Athalie, le Bourgeois gentilhomme, le Légataire, pour ne citer à nouveau que ces trois-là, nous répondent heureusement de l’humeur de tout ce public.

Que reste-t-il donc, si l’on ne peut s’en prendre aux directeurs ni aux confrères ni à l’auditoire, que reste-t-il pour expliquer l’abandon où gisent les classiques ? Il reste, hélas ! qu’il n’y a plus d’acteurs pour les jouer. Des tragédiens ? Passez en revue la nombreuse troupe de la Comédie-Française. Après M. Mounet-Sully, trop souvent malade et qui ne saurait suffire à tout, qui oserez-vous nommer ? M. Silvain, excellent au second plan et qui ne saurait occuper le premier. Et puis ? M. Dupont-Vernon et M. Maubant ; passons : à quoi bon les contrister ? M. Worms a pu jouer le Cid : il n’est pas tragédien pour cela. M. Laroche ne l’est pas, — est-il besoin de le dire ? — pour avoir joué Sévère. M. Martel n’est qu’un passable confident ; M. Villain en est à peine un. M. Garnier, M. Falconnier, sont encore des élèves ; M. Boucher en est un depuis trop longtemps. M. Duflos est une excellente recrue pour le drame, M. Albert Lambert fils en est peut-être une bonne ; mais, pour la tragédie ? Je voudrais m’écrier : « Ah ! qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui viennent chausser le cothurne ! » Je ne vois venir que des pieds à brodequins et à souliers vernis. Quant aux tragédiennes, depuis Mme Sarah Bernhardt, on n’en fait plus : Mlle Dudlay en tient lieu. À ses côtés, Mlle Lerou a de l’énergie, Mlle Bruck a de la gentillesse, et Mlle Fayolle… Mais pourquoi pousser si loin ? Regardons