Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/99

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

été servante dans une auberge mal famée. Cette imputation mensongère ne résiste pas au moindre examen. D’abord, quatre témoins oculaires attestèrent, en 1456, la parfaite honnêteté de la femme la Rousse et la bonne renommée dont elle jouissait ; ensuite, nous avons découvert un acte daté de 1412, d’où il résulte que cette femme, mariée à Jean Waldaires, avait alors prêté de l’argent à plusieurs de ses compatriotes suspects au duc de Lorraine en raison de leur attachement au parti du roi de France. Cet exil à Neufchâteau dura une quinzaine de jours, pendant lesquels Jeanne se confessa deux ou trois fois à des religieux mendians, et par ces mots, il faut entendre des frères Mineurs ou Cordeliers, les seuls religieux mendians qui possédassent alors un couvent dans cette ville. Pendant la première partie du règne de Charles VII, la propagande en faveur de ce prince n’eut pas, ainsi que nous nous sommes efforcé de le démontrer ici même, de plus ardens foyers que les monastères de l’ordre de Saint-François. Attisé pour ainsi dire par le vieil attachement de la population à la royauté française, le foyer dont il s’agit devait rayonner à Neufchâteau plus encore que partout ailleurs. Nous estimons donc qu’en un moment où Jeanne ressentait si vivement les malheurs de la France en général et de son pays natal en particulier, ces relations pieuses, ces entrevues intimes avec des frères Mineurs achevèrent de la confirmer dans la foi en sa mission à la fois religieuse et patriotique.

Lorsqu’après ces quinze jours d’absence, nos exilés purent enfin reprendre le chemin de leurs demeures, ils furent témoins d’un affreux spectacle. Les Anglo-Bourguignons, furieux de ce que les habitans de Domremy avaient réussi à s’enfuir et à sauver ce qu’ils avaient de plus précieux, s’étaient vengés en mettant le feu au village ; ils avaient montré un acharnement particulier contre l’église paroissiale, qui n’était plus qu’un monceau de ruines. La pieuse fille de Jacques d’Arc dut ressentir une indignation égale à sa douleur en voyant ce qu’une soldatesque sacrilège avait fait de cette église où elle avait été baptisée et à l’ombre de laquelle elle avait vécu, où elle avait fait sa première communion, où elle avait sollicité et obtenu du ciel de si insignes faveurs. Bon gré mal gré, il lui fallait pourtant se résigner et, depuis son retour de Neufchâteau jusqu’à son second départ pour Vaucouleurs, en d’autres termes, pendant les cinq derniers mois de 1428, force lui fut, pour remplir ses devoirs religieux et assister à l’office divin, de se rendre à l’église de Creux, la paroisse limitrophe. Au reste, la terreur continua de régner à Domremy et dans la région environnante. Le plat pays était tellement en butte aux incursions des bandes armées que l’on avait fait défense aux paysans de se hasarder hors l’enceinte des places fortifiées, et, en novembre 1428, un laboureur, qui s’était mis à refuge