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on peut justement appliquer le mot d’Héraclite : — On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, ni dans le même courant de représentations.

M. Ribot, à qui la métaphysique, cette recherche des causes, inspire une sorte de sacer horror, prendrait volontiers pour devise, à l’encontre de Virgile :


Félix qui potuit rerum non quœrere causas.


Aussi renvoie-t-il le problème de la reconnaissance et de la notion du temps à ce que les Allemands appellent la « critique des connaissances. » Mais, répondrons-nous, cette critique même est une question psychologique et non pas seulement métaphysique. La méthode de M. Ribot, si on en abusait, dispenserait de toutes les questions profondes et vraiment difficiles, de celles qui portent sur le cœur même des choses. M. Ribot, il est juste de le dire, ne veut offrir au lecteur qu’une simple étude de « psychologie descriptive, » mais, en réalité, outre les descriptions physiologiques les plus ingénieuses et les plus savantes, il est bien obligé de lui présenter encore une série de pures hypothèses, et il aboutit, en somme, à des solutions d’un caractère exclusivement mécaniste. Par peur de la métaphysique et même de la critique des connaissances, il se réfugie avec M. Maudsley dans un système de métaphysique particulier selon lequel, — on s’en souvient, — la conscience serait le résultat accidentel d’un fonctionnement de molécules. Certes, si on commence par présupposer et le discernement du temps et le discernement de la ressemblance, il ne restera plus qu’à « décrire » le mécanisme de la mémoire ; mais le discernement du temps et surtout celui de la ressemblance, c’est la mémoire mentale elle-même, c’est le fond du souvenir, non-seulement au point de vue métaphysique ou critique, mais même au point de vue psychologique. Tout le reste est, sinon accidentel, du moins préliminaire ou extérieur ; tant qu’on n’a pas essayé de montrer comment s’organisent les notions de temps et de ressemblance, on n’a fait que tourner autour de la mémoire et en analyser les rouages les plus visibles, sans pénétrer jusqu’au grand ressort.

Il semble donc nécessaire d’aborder « ce labyrinthe » des idées de temps et de ressemblance, sans lesquelles il n’y a ni mémoire ni même conscience du moi. Ici encore, nous essaierons d’abord de pousser l’explication mécanique aussi loin qu’il est possible, afin de déterminer avec exactitude la limite à laquelle elle s’arrête. Le jugement par lequel nous reconnaissons les images et les classons dans le temps a différens degrés que nous aurons soin