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de marquer ; nous suivrons par là les progrès de la psychologie contemporaine dans une de ses plus intéressantes questions, et nous déterminerons le point où ses explications semblent rester encore insuffisantes.


I

En premier lieu, la condition fondamentale de la reconnaissance, c’est ce jugement que l’image de la chose est une simple image. Si, par exemple, je me rappelle les ténèbres en plein jour, il faut que ma représentation imaginaire des ténèbres soit distinguée de mes perceptions présentes. Comment se fait cette distinction ? — Elle a lieu, selon nous, par une série de classifications spontanées dont nous allons montrer les divers stades. La première distinction entre la simple image et la perception réelle est fondée sur la force même des représentations. La simple image n’a pas la même force que la perception ; en vain, les yeux ouverts en plein jour, je voudrais voir la nuit : la réalité s’empare de ma conscience, je ne puis m’empêcher de voir le jour. Tel est le premier signe distinctif de la sensation et de l’image, proposé par Hume, adopté aujourd’hui par MM. Spencer, Bain, Maudsley, Taine, Ribot, par presque tous les psychologues contemporains. Est-ce tout ? Reid demande avec un mélange de naïveté et d’ingéniosité si un petit coup sur la tête nous parait une simple image et un grand coup une perception actuelle ; M. Janet a reproduit cette objection. On peut répondre, d’abord, qu’il y a une différence notable entre un petit coup et un souvenir de coup : c’est que le second ne fait aucun mal. Nouvel exemple du rôle joué par la sensibilité dans le développement de l’intelligence. Mais il y a une réponse plus décisive qu’on peut faire à Reid et à M. Janet en leur opposant la théorie des idées-forces. C’est que précisément, en vertu de la force qui appartient à toute idée, l’image intérieure d’un coup sur la tête nous paraîtrait un coup réel si elle était seule, si sa force propre et sa tendance à produire des mouvemens n’était pas contre-balancée par la force d’autres idées, ou, selon l’expression de M. Taine, refrénée. Que je ferme les yeux, que je m’absorbe dans une rêverie profonde, que je me rappelle fortement les circonstances dans lesquelles j’ai reçu un coup, je pourrai finir par me persuader un instant que je le reçois, je pourrai tressaillir comme si on me frappait encore. Reid ne croit donc pas si bien dire ; il est profond sans s’en douter. Toute idée, toute image a une force de projection : cette force tend à s’imposer et s’impose en effet quand elle est seule. Placez devant un esprit l’image d’une sensation toujours la même, ce sera pour