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jusqu’à ces dernières années le monopole du commerce dans la mer du Sud ; d’abord comme entrepôt des produits anglais, ensuite pour son propre compte, lorsqu’elle fut devenue manufacturière et eut repoussé les produits anglais par l’établissement de droits protecteurs. Ce trafic fructueux s’est développé d’année en année, d’autant plus aisément que l’apathie des Espagnols, qui ne tirent aucun parti d’admirables colonies, et l’incapacité commerciale des Français laissaient le champ libre à l’activité et à l’esprit d’entreprise des Australiens ; mais ceux-ci ont vu surgir tout à coup un concurrent inattendu, l’Allemagne, dont la compétition a pris immédiatement un caractère redoutable. Le pavillon allemand est celui qui se montre le plus fréquemment dans les eaux de la Chine et du Japon, et ce sont des maisons allemandes qui font dans ces deux pays les affaires les plus considérables et les plus fructueuses. Ce résultat est dû à ce que la marine allemande navigue à un bon marché auquel aucune des marines européennes ne peut atteindre. Les armateurs de Brème, de Lübeck, et surtout de Hambourg, possèdent de véritables flottes employées presque exclusivement au commerce de l’extrême Orient. Leur attention toute spéciale s’est portée sur les nombreuses îles de l’Océan-Pacifique et ils y poursuivent particulièrement deux sortes d’opérations, la création de nombreux comptoirs qui servent à l’écoulement des produits manufacturés de l’Allemagne, et la spéculation sur les terrains. Partout où il y a un commencement de civilisation, partout où l’existence d’un bon port ou d’une rade sûre permet de prévoir la prochaine fondation d’un établissement européen, un agent allemand acquiert à vil prix, des chefs indigènes, de vastes espaces de terrain qu’il compte revendre quelque jour. Lorsque l’Angleterre, il y a une dizaine d’années, cédant aux importunités des missionnaires, et désireuse de s’assurer une position maritime importante, annexa les îles Fidji, il se trouva qu’une partie notable du sol de ces îles était, à raison de contrats plus ou moins valides, la propriété d’Allemands. Les Anglais, en s’installant, tinrent fort peu de compte des prétentions de ces propriétaires ; mais M. de Bismarck ne l’entendit point ainsi. Il réclama de la façon la plus énergique des indemnités pour ses compatriotes et la nomination d’une commission arbitrale pour fixer le chiffre de ces indemnités. Après avoir commencé par contester la légitimité des réclamations qui lui étaient adressées, le gouvernement anglais fit promesse sur promesse, mais il traîna les choses en longueur, espérant que cette affaire tomberait dans l’oubli : cette tactique dilatoire n’a point réussi avec M. de Bismarck, qui n’a pas laissé passer une année sans rappeler au cabinet de Londres les engagemens que celui-ci avait pris et sans en