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d’Angleterre, le commandant des forces navales anglaises dans le Pacifique, le commodore Erskine, se rendit avec les quatre bâtimens sous ses ordres, à Port Moresby, où il avait été précédé de quelques jours par le sous-commissaire, M. Romilly. Le missionnaire Lawes fut chargé d’amener quelques chefs de l’intérieur ; les commandans du Raven et de l’Espiègle en raccolèrent un certain nombre le long de la côte, et le 6 novembre 1884, environ cinquante chefs se trouvèrent réunis à bord du bâtiment amiral, le Nelson. La plupart d’entre eux étaient absolument nus ; quelques-uns avaient seulement sur le front un bandeau en coquillage et un paquet de plumes, deux ou trois portaient des lambeaux de vieilles chemises. Le plus important et le plus élégant de tous, Boevagi, chef de la tribu des Motus, en relations plus fréquentes avec les missionnaires anglais, avait revêtu ses plus beaux effets, à savoir une chemise de couleur, serrée autour des reins par un mouchoir de poche, et un vieux chapeau de feutre rouge. Après avoir souhaité la bienvenue aux chefs, le commodore fit apporter un grand chaudron de riz bouilli, sucré avec de la cassonade, et on en distribua de pleines écuelles à tous les assistans, qui s’en repurent avec autant de rapidité que de satisfaction. Ce régal terminé, le commodore, ayant le missionnaire pour interprète, expliqua aux assistans qu’ils allaient avoir le bonheur de vivre désormais sous l’autorité de sa majesté britannique, qui se chargeait de les protéger, qu’ils conserveraient tous leurs biens, et toutes leurs libertés, sauf le droit de vendre des terres aux étrangers et de leur acheter des armes à feu, de la poudre et des spiritueux. A la fin de ce petit discours, le commodore fit avancer Boevagi, daigna lui serrer la main et lui remit comme insigne de sa prééminence sur les autres chefs une canne dans la pomme de laquelle on avait fixé un florin avec la tête de la reine en-dessus, façon économique de gratifier ce sauvage du portrait de la souveraine. Chacun des chefs reçut alors en présent une hachette, un couteau de boucher, une chemise de couleur et quelques rouleaux de tabac à chiquer. Ils se retirèrent enchantés, et sans plus de frais ni de cérémonie ; le nombre des sujets de la reine Victoria se trouva accru de plusieurs centaines de mille.

La nouvelle de cette annexion restreinte fut loin d’être accueillie avec satisfaction en Australie, surtout dans le Queensland, où l’on s’était bercé de l’espoir que la Nouvelle-Guinée serait annexée tout entière. On criait à la montagne accouchant d’une souris. On ne s’expliquait pas que le gouvernement anglais eût laissé en dehors du protectorat mie portion quelconque de la Nouvelle-Guinée, à l’exception des possessions hollandaises, s’il croyait devoir respecter celles-ci. La presse australienne avait été mise en émoi par les