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premier ministre de la colonie, aussitôt que les annexions opérées par l’Allemagne avaient été connues. M. Service rappelait les diverses pétitions des assemblées coloniales et les déclarations rassurantes par lesquelles le cabinet anglais y avait répondu pour se dispenser d’en tenir compte, et il donnait un libre cours à l’expression des « sentimens de consternation, de surprise et d’indignation » dont les colons étaient pénétrés. « Voici, ajoutait-il, quelle est notre situation : l’Australie n’a pas la liberté d’agir par elle-même, et le gouvernement ne veut pas agir pour elle : en attendant, elle doit se croiser les bras et voir des territoires dont elle juge la possession nécessaire à sa sécurité et à sa prospérité passer en des mains étrangères. Profondément attaché à l’union des colonies et de l’empire, M. Service ne peut exprimer assez fortement le désappointement que lui cause le peu d’égards témoigné par le gouvernement de Sa Majesté pour les aspirations des colons. » Les agens-généraux avaient reçu, par le câble sous-marin, l’ordre de protester contre une reconnaissance quelconque des prétentions allemandes sur la Nouvelle-Guinée, et contre la conduite de lord Derby qui s’était laissé tromper ou qui avait trompé les colonies. C’est contre ce ministre que s’exhalait surtout la colère des Australiens, et ils réclamaient son renvoi immédiat comme la moindre des satisfactions que la métropole devait à leurs justes griefs. L’exaspération des esprits était aussi violente qu’elle l’avait été, il y a une trentaine d’années, lorsque le gouvernement songea à rétablir la transportation. Les journaux ne cessaient de prêcher la nécessité de briser une union qui ne se faisait sentir que par un perpétuel sacrifice des intérêts australiens. Par bonheur, aucun des parlemens coloniaux n’était plus en session : les discours des orateurs auraient sans doute été au même diapason que les articles des journaux ; et quelques-unes des assemblées auraient pu se laisser aller à voter des résolutions regrettables. Les gouverneurs s’abstinrent prudemment de convoquer aucune session extraordinaire, afin de laisser aux esprits le temps de se calmer. Néanmoins, toutes les correspondances reçues en Angleterre s’accordent à représenter l’attachement des Australiens à la métropole comme fortement ébranlé. Il serait périlleux de le soumettre à une nouvelle épreuve.


CUCHEVAL-CLARIGNY.