Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/240

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

magne nouvelle l’époque guerrière et déjà presque légendaire. Ils avaient été l’un et l’autre, le prince et le général, de toutes ces luttes contemporaines d’où est sorti l’empire allemand, depuis la campagne des duchés de l’Elbe, en 1864, jusqu’à la campagne de France. Ils avaient leur originalité dans cette élite militaire groupée autour de l’empereur Guillaume, sous la direction de M. de Moltke, pour l’accomplissement de la politique de M. de Bismarck.

Le prince Frédéric-Charles était jeune encore lorsqu’il a été frappé d’une mort foudroyante. Il ne peut passer pour un chef d’armée de premier ordre, bien qu’il ait commandé des armées. C’était un vigoureux soldat, de la forte race des Hohenzollern, dévoué à sa maison et à son état, capable d’exécuter intrépidement les ordres qu’il recevait, et c’est par son opiniâtre fermeté qu’il contribuait, en 1866, à la victoire de Sadowa, en laissant au prince royal le temps d’arriver sur le champ de bataille. Le neveu de l’empereur Guillaume, celui qu’on appelait le « prince rouge, » avait eu particulièrement un rôle dans deux épisodes de la campagne de France, au blocus de Metz et dans les opérations sur la Loire. A Metz, le succès lui était facilité par un chef qui se laissait affamer avec une des plus belles armées qu’ait eues la France. Sur la Loire, il trouvait dans le général Chanzy un antagoniste presque improvisé, qui, en lui tenant tête, en étonnant les Allemands par sa résistance avec des soldats peu aguerris et une armée à peine organisée, montrait ce qu’il aurait pu faire dans de meilleures conditions. le prince Frédéric-Charles avait raison de Chanzy moins par son habileté que par la disproportion des forces et des situations. Depuis la guerre, il s’était retiré dans son rôle de feld-maréchal, étranger à la politique, pour laquelle il était d’ailleurs peu fait, supportant assez mal une inaction qui pesait à sa rude nature.

Le général baron de Manteuffel, qui a été enlevé en même temps que le prince Frédéric-Charles et qui était plus âgé, est, à vrai dire, une des figures les plus originales de l’armée allemande. Il avait été, lui aussi, un des principaux acteurs et dans la campagne de 1864 et dans la campagne de 1866 et dans la campagne de 1870. Il avait fait notamment, aux premiers jours de 1871, cette étonnante marche à travers les montagnes de la Côte-d’Or, qui avait pour effet d’aller surprendre et attaquer l’armée du général Bourbaki dans son mouvement sur l’est, que M. de Moltke lui-même, en l’ordonnant, jugeait très hasardée. Nul doute, en effet, que s’il y avait eu la moindre attention, la moindre vigilance de la part de Garibaldi, qui était à Dijon, ou de la part de ceux qui commandaient pour lui, l’armée de Manteuffel n’eût pu être arrêtée aux débouchés des montagnes. Garibaldi n’en faisait rien, il bataillait avec une brigade envoyée tout exprès pour « l’amuser, » pendant que l’armée de Manteuffel courait librement sur la Saône, sur le Doubs, — et c’est probablement pour ce bel exploit, pour