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C’est de l’Asie que viennent en droite ligne ces chars de guerre. Quinze siècles environ avant notre ère, ils roulaient déjà par milliers dans la plaine de l’Oronte, où se livrèrent les grands combats entre Ramsès et les Khétas. Les Assyriens, jusqu’à la chute de Ninive, n’en firent pas un moins constant usage que les Pharaons. Comme les Égyptiens, comme les Assyriens du Xe et du IXe siècle, les héros d’Homère ne savaient pas encore se battre à cheval. Pas plus de cavalerie dans les mêlées de l’Iliade, que dans les bas-reliefs qui, à Thèbes et à Calach, représentent les campagnes de Seti ou celles d’Assournasirhabal. Les armées du vieux monde oriental connaissaient les casques de bronze et le bouclier doublé de métal, ainsi que l’arc, l’épée et la lance. Ce qu’on ne rencontre pas chez elles, c’est la cuirasse et les jambières d’airain ; l’Asie ne parait pas avoir eu l’idée d’envelopper le corps du soldat dans cette lourde et rigide panoplie qui le rend presque invulnérable.

Du champ de bataille, où nous avons suivi les héros, revenons avec eux vers la tente et la maison où, après les fatigues de la lutte, ils vont chercher le repos autour de la table du festin ; nous les y verrons prendre en main des vases de terre, d’argent et d’or, d’où coulent les libations et où l’hôte est invité à tremper ses lèvres. Écartant plusieurs interprétations cherchées et fausses, M. Helbig définit le dépas amphikupellon, à propos duquel on a tant discuté chez les anciens et chez les modernes ; il y voit une tasse à deux anses, analogue au canthare et au karkhesion des siècles postérieurs, mais d’une forme probablement moins élégante et de proportions moins heureuses. C’est par les monumens qu’il éclaircit et qu’il explique les trop brèves descriptions du poète ; ainsi une coupe d’or trouvée à Mycènes lui sert à faire comprendre comment on peut se figurer cette coupe de Nestor, aux quatre anses ornées de colombes, sur laquelle Homère insiste comme sur une rare merveille[1]. Poussant plus loin l’analyse, il cherche quels étaient les motifs que les artisans employaient de préférence pour embellir les armes, les vases, les bijoux, les ustensiles de tout genre, les étoffes, les meubles, les murs des maisons. La conclusion à laquelle il arrive, c’est que l’ornement géométrique tenait encore une grande place dans la décoration, mais que celle-ci tirait aussi déjà parti des feuilles et des fleurs de la plante, qu’elle s’essayait à copier l’animal ; elle aimait soit à grouper deux à deux, soit à distribuer en longues files ces images de lions, de taureaux, de chiens, de sangliers, dont l’art archaïque fera longtemps encore un si fréquent usage et auxquelles l’art classique ne renoncera

  1. Iliade, XI, 632-637. — Schlieman, Mycènes, fig. 346.