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s’écouleront encore avant que la plastique ait rejoint In poésie, et que le génie grec en soit venu à manier la langue des formes comme il manie déjà, avec Homère, celle des mots et des rythmes. C’est le but vers lequel on tendra désormais, par une marche lente mais ininterrompue, à mesure que la société grecque achèvera de se constituer et que, par des traits de plus en plus marqués, elle se distinguera plus nettement des peuples voisins.

Cette société dont nous avons évoqué l’image, telle que la restaure et la montre M. Helbig, c’est la plus ancienne société de laquelle on soit fondé à dire, sans crainte d’erreur, qu’elle représente la race grecque en une certaine heure de sa longue vie. Dès que l’on remonte plus haut dans le passé, on n’a plus cette certitude, pour aucune des populations qui, dans ces parages, ont laissé des traces de leur industrie naissante. Étaient-ce les ancêtres des Grecs, ces hommes qui ont enfoui leurs outils de pierre

dans les couches les plus profondes du tertre d’Hissarlik, ceux dont les maisons se sont retrouvées à Santorin, sous la pouzzolane, et enfin ceux qui dormaient, couverts d’or et de bijoux, dans l’Acropole de Mycènes ? Même pour Mycènes, dont les Grecs ont pris plus tard à leur compte les vieilles gloires légendaires, nous ne saurions répondre avec assurance à cette question. Ces ouvrages des primitifs habitans de l’Asie-Mineure, des îles et de l’Hellade ne sont pas signés. Fouilleurs et archéologues, tous tant que nous sommes, nous aurons beau faire ; peut-être ne saurons-nous jamais quelle langue parlaient et quels dieux adoraient ces vaillans d’autrefois dont M. Sehliemann a troublé le dernier sommeil ; peut-être ce peuple constructeur et thésauriseur restera-t-il toujours masqué dans l’histoire, comme l’était dans la tombe le visage de ses princes.

La vraie Grèce, la Grèce authentique et indiscutable, c’est avec Homère qu’elle commence ; mais si, dès lors, elle fait éclater dans son épopée l’originalité de son génie, par d’autres endroits elle ne s’est pas encore pleinement dégagée du monde ambiant : du monde barbare d’où elle sort, du monde oriental où elle va chercher des exemples et des leçons. Il reste bien des traces de la barbarie première. La propreté de la maison et celle de la personne laissent encore beaucoup à désirer ; le sens de l’odorat manque de finesse. Les bains, qui, chez les Grecs de l’âge classique, devaient devenir d’un usage quotidien, ne se prennent guère que dans les grandes occasions, après le combat, après des fatigues extraordinaires. La nourriture est d’une simplicité très élémentaire. Elle ne se compose, ordinairement, que de la chair des troupeaux. Il n’est nulle part question, dans l’épopée, ni de légumes ni de volaille.