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inoffensive. Ce sont eux qui ont poussé les Boers à bout en s’arrogeant le droit de contrôler et de faire casser les contrats que ceux-ci passaient avec des indigènes pour la mise en culture du sol. Ce sont eux qui, sous prétexte que les Cafres devaient être en état de se protéger contre les empiétemens des blancs, leur ont procuré les armes et les munitions à l’aide desquelles ces sauvages cruels ont mis à feu et à sang la moitié de la colonie. Aujourd’hui encore ils ont un vaste champ ouvert à leur activité. La découverte, dans l’intérieur du pays, de mines de diamans et de gisemens aurifères, y a fait accourir pendant quelques années une multitude d’aventuriers de tous les pays : des établissemens de commerce, des exploitations agricoles se sont fondés pour subvenir aux divers besoins de ces aventuriers. On a vu s’improviser ainsi, à une très grande distance du Cap, des colonies rudimentaires ou les élémens d’ordre et de moralité étaient ce qui manquait le plus. Ces districts nouveaux, le Griqualand, le Stellaland, etc., étaient trop éloignés du Cap et trop étendus pour que la colonie pût assumer la responsabilité et la dépense de les administrer. D’un autre côté, elle aurait vu de fort mauvais œil leur érection en colonies séparées relevant de la couronne britannique, parce que ces colonies nouvelles seraient devenues un obstacle à son propre agrandissement et aux projets qu’elle nourrit pour l’avenir. On a pris un moyen terme : le gouvernement anglais nomme dans ces districts un administrateur ou un commissaire qui le régit, avec l’assistance d’un conseil de notables élu par les principaux habituels, et qui maintient l’ordre, tant bien que mal, à l’aide d’une force de police recrutée par des enrôlemens volontaires, et payée au moyen d’une taxe de capitation. Les querelles sont continuelles entre les blancs, qui veulent former des établissemens ; les noirs, qui vendent les mêmes terres à plusieurs individus ; et les diverses tribus, qui s’enlèvent réciproquement leurs bestiaux.

C’est ici que les missionnaires triomphent : leur rêve serait d’interdire la vente d’aucune terre aux blancs, de désarmer ceux-ci, d’armer exclusivement les nègres, et de leur faire faire la police du pays, ce qui conduirait rapidement à l’extermination de la race blanche. N’ayant pu faire goûter ces plans extravagans qu’à quelques philanthropes parmi lesquels on regrette de compter lord Grey, ils s’en tiennent à réclamer l’intervention constante du gouvernement métropolitain dans les affaires coloniales. Qu’un parti de nègres assaille de nuit un établissement, en massacre les habitans, en emmène les troupeaux et en brûle les bâtimens, on trouvera mille circonstances atténuantes pour excuser le crime ; mais que, le lendemain, une patrouille de colons fusille un noir, convaincu d’avoir