Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/373

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quand ils auront perdu la verdeur de l’âge et jeté leurs gourmes, ils sentiront peut-être que les défenseurs des vieilles croyances ont encore quelque chose à leur apprendre.

Les époques de crise ont pour effet habituel de rapprocher toutes les nuances d’un même parti. L’église offre aujourd’hui le spectacle d’une remarquable unité. Cependant il ne faut pas confondre ces curés à demi campagnards avec le clergé plus militant des centres privilégiés. Il existe de petites colonies où l’on s’encourage à combattre pour la bonne cause. Les manifestations religieuses y prennent une fougue presque méridionale. L’église du bourg a été construite sur la plus haute colline et frappe de loin les yeux. Un calvaire, célèbre dans toute la contrée, attire chaque année de nombreux pèlerins. Le clergé, jeune et actif, retrempe continuellement sa foi au contact de deux ou trois couvens. Les jours de fête, il aime à déployer la majesté des grandes processions sur le flanc des coteaux. Il faut voir alors l’aspect des rues montantes de la petite ville, surtout si l’on attend quelque auguste visite. Partout se dressent des mâts ornés de banderoles dont on a soigneusement exclu les trois couleurs. Celles-ci ne se rencontrent que sur le drapeau de la mairie, sorte d’appendice en métal qu’aucun souille n’agite et qui fait contraste avec la gaîté générale. Le cortège s’avance, enseignes déployées, au chant des cantiques, entre deux longues files de cierges, qu’on porte avec une certaine crânerie, comme s’il s’agissait de délier un ennemi invisible. Les femmes sont agenouillées jusque dans les ruisseaux et forment une haie blanche et noire, depuis l’église jusqu’au calvaire. Ce sont là des démonstrations bien inoffensives. Nos populations ont beaucoup de goût pour les pompes extérieures du culte, et l’on ne peut commettre de plus insigne maladresse que de les leur interdire. Dans tous les pays libres, chaque parti n’a-t-il pas le droit de se compter ? Ne s’accoutumera-t-on jamais, en France, à voir de sang-froid parader ses adversaires ?

Un fait plus regrettable, c’est l’intervention du clergé dans les luttes électorales. De récentes défaites l’ont rendu plus circonspect. Il n’en est pas moins vrai qu’à certains jours de bataille, des essaims de jeunes séminaristes sortent des ruches pieuses pour se répandre dans les campagnes. On affirme encore que la même ardeur irréfléchie transforme, en instruments de propagande politique les conférences ecclésiastiques qui se tiennent chez le doyen du canton. On y discuterait le langage à tenir en chaire, les moyens à employer pour assurer le succès de telle ou telle candidature, et diverses combinaisons fort étrangères au dogme et à la morale. Sans nul doute, l’entourage d’une petite bourgeoisie désœuvrée ou d’une noblesse bouillante contribue beaucoup à pousser le clergé