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dans l’arène politique. Les laïques n’ont point charge d’âmes. Si sincère que soit leur piété, ils sont beaucoup plus accessibles aux passions temporelles. Ils ont des espérances ou des regrets. Les uns ne pardonnent pas à la démocratie la perte de leurs avantages ; les autres, gonflés d’une importance de fraîche date, s’efforcent de faire oublier leur origine en exagérant le zèle pour le trône et l’autel. Il se forme ainsi autour du clergé une espèce d’opinion locale à laquelle il cède involontairement. C’est un nuage qui s’interpose entre le prêtre et la classe populaire, véritable source de sa force, selon l’esprit évangélique. A force de gémir ensemble sur le malheur des temps, on finit par se croire réellement persécuté. On déclame contre un siècle sans foi ni loi, et l’on attend un miracle : que le ciel, dans sa colère, anéantisse la république, et soudain, comme pur enchantement, tout rentrera dans l’ordre.

Ce serait une erreur de croire que ces petits centres d’opposition obéissent toujours à un mot d’ordre venu de haut. Le plus souvent l’évêché serait disposé à jeter de l’eau sur le feu. Mais les efforts des évêques se heurtent aux passions locales ; puis les attaques du parti contraire forcent à serrer les rangs et à couvrir des auxiliaires compromettans. Un jour, deux prélats éclairés, dont l’un venait d’être préconisé, causaient ensemble des réformes à introduire dans l’éducation du clergé ; ils voulaient, l’un et l’autre, le tenir à l’écart de la politique. Au moment de se séparer, l’un d’eux avisa, sur la table de son collègue, une feuille cléricale d’une extrême violence. Il ne put s’empêcher d’en l’aire la remarque. « Voilà, dit-il, notre pire ennemi. Pensez-vous réformer votre clergé en accueillant et en protégeant ces enfans perdus, qui tirent si souvent sur leurs propres troupes ? — Hélas ! répondit le prélat en soupirant, je ne suis pas libre. Si je cessais de recevoir ce journal, une partie de mon troupeau m’abandonnerait. » Le propriétaire même du journal, un grand seigneur sanguin et franc, grand amateur de coups de poing cléricaux, se vantait, non sans raison, de mener le diocèse. Il disait un jour devant un nombreux auditoire : « Est-ce que vous croyez que l’évêché peut me faire de l’opposition ? Il n’oserait, car j’ai la moitié du clergé avec moi. Un de nos évêques essaya naguère d’enrayer le mouvement. C’était sous l’empire. Mon journal avait, à cette époque, deux cents abonnés, ni plus ni moins. Un matin, j’appris qu’il était tombé à cent quatre-vingt-dix-neuf. Je vis d’où partait le coup et j’allais droit au palais épiscopal : — Monseigneur, dis-je, si demain Votre Grandeur n’a pas renouvelé son abonnement, je la préviens respectueusement que je soulève contre elle son clergé. — Le lendemain, mon deux-centième abonné rentrait au bercail. »

Cependant, malgré quelques intempérances de langage, nos