Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/407

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ont fait quelques progrès. Il semble bien que, de César à Tacite, la religion a pris des formes plus précises ; le culte et le sacerdoce se sont organisés, le prêtre s’est détaché du prince et du père de famille, l’assemblée de Civitas a pris plus d’importance et l’idée de la puissance publique est devenue plus claire ; mais la Germanie n’est pas pour cela organisée ; les dèplacemens de peuples y continuent ; ils sont fréquens même dans la période assez calme qui s’étend entre César et Marc-Aurèle. A vingt ans d’intervalle, on ne reconnaît plus la géographie politique de la région. De temps à autre, quelque grande migration, comme celle des Goths, qui passent du rivage de la Baltique aux bords du Danube, prouve que la Germanie est toujours une arène où le vent déplace des tourbillons. En somme, aucun grand progrès n’a été fait : les Germains sont toujours des agriculteurs misérables ; ils ne sont devenus ni des industriels, ni des commerçans. lis ont respecté les marécages et les forêts, ils n’ont point bâti de villes.

Dès lors, il est étonnant que Rome ne les ait ni vaincus, ni assimilés. Elle a cependant pratiqué envers eux la politique qu’elle a toujours suivie, quand elle a voulu préparer l’absorption d’un peuple dans l’état romain. Marc-Aurèle, par exemple, après avoir dissipé la cohue des petits peuples danubiens, marque à chacun des vaincus son territoire, fixe le contingent de celui-ci, la contribution de celui-là, fait surveiller l’un par l’autre, donne des exemptions de tribut, des subsides et même le droit de cité ; il institue ainsi cette inégalité des conditions qui, rendant impossibles les révoltes communes, préparait la commune sujétion. Rome a d’ailleurs employé en Germanie ses moyens habituels de corruption ; elle a donné des honneurs aux princes ; elle leur a pris leurs fils pour les élever et les renvoyer dans leur patrie, avec l’espoir d’en faire les complices de sa politique. Elle a répandu son or, et cet or n’a pas trouvé de rebelles, car les Germains aimaient la monnaie romaine (serrutos amant bigatosque, dit Tacite), comme les princes allemands devaient aimer plus tard les écus de France. La diète de l’Allemagne moderne était une foire de princes à vendre, et la Germanie un marché de peuples où Rome a fait beaucoup d’acquisitions. Toute cette politique, qui a réussi ailleurs, a pourtant échoué ici. Pourquoi ?

Les peuples ont une carrière où ils ont accoutumé de se mouvoir : dès qu’ils en sortent, ils sont dépaysés. La carrière des anciens était la Méditerranée : les Phéniciens et les Grecs l’ont parcourue, et ils en ont. tenu des parties, mais les Romains l’ont occupée tout entière, Regere imperio populos signifie gouverner, du centre où l’on est placé, l’admirable région qui s’étend des