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même le Romain qui vient implorer du secours contre les menaces du Nord. Profanation ! Sidoine prie la Garonne de défendre le Tibre affaibli :


Defenset tenuem Garumna Tibrim…


Et comme, il adresse ce poème à Lampridius, rhéteur bien en cour, il se compare, lui pauvre Mélibée, à l’heureux Tityre qu’un dieu a comblé de loisirs.

Ainsi se serait éteinte peu à peu cette opposition du dédain ; après quelques générations, il n’en serait rien demeuré. L’immense majorité des provinciaux était ralliée, d’ailleurs, au nouvel ordre de choses. Peu importait le changement de maître à tous ceux qui étaient répartis dans les conditions serviles et qui étaient les plus nombreux. Quant à ce qui demeurait d’hommes libres de condition moyenne, ces victimes de la fiscalité impériale, n’avaient qu’une volonté : n’être plus exploités par les Romains. Il était donc à prévoir que barbares et Romains allaient se rapprocher les uns des autres ; les premiers devenant plus civilisés, et les seconds plus barbares, on se serait rencontré, et l’on aurait trouvé une nouvelle façon de vivre qui n’eût été ni romaine, ni germaine. La supériorité même de leur civilisation aurait donné aux Romains une grande place dans les combinaisons nouvelles ; mais, alors même qu’ils l’auraient voulu, ils n’auraient pu maintenir l’ancien état des choses, car il fallait bien compter avec les barbares. Il est vrai que ceux-ci n’avaient aucune idée qui leur appartint d’une organisation politique et sociale. Si l’on peut trouver dans la civitas germanique les formes très simples d’un état et d’une société, comment ne se seraient-elles point disloquées dans le cahotement de ces longues migrations et par la translation même dans un milieu si différent de celui de la civitas ? Dispersés dans de vastes provinces, séparés les uns des autres, éloignés du chef, les Germains ne formaient plus un peuple, et leurs institutions primitives, qui supposaient la cohabitation, le voisinage et la vie commune, ne pouvaient vivre ainsi transplantées. Le chef avait pris naturellement toutes les façons de l’imperator ; il était législateur suprême, souverain juge, et il avait autour de lui un personnel qui ne demandait pas mieux que de manœuvrer encore la vieille machine administrative ; mais la machine était brisée en plus d’un endroit, et, d’ailleurs les Germains n’avaient pas reçu cette longue discipline séculaire qui seule peut faire des sujets dociles : ils étaient et devaient demeurer rebelles au système de l’état tout-puissant. Enfin leurs rois n’ont jamais pu comprendre l’idée d’une puissance publique impersonnelle, s’exerçant de