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l’orthodoxie est la sagesse et elle est la vertu. Elle est la foi catholique, cette « foi unique et véritable » à laquelle, suivant le mot de Léon Ier, le grand pape du va siècle, « rien ne peut être ajouté, rien ne peut être ôté. » Elle est si sûre d’elle-même qu’elle ne s’abaisse pas à discuter longtemps. Grégoire de Tours, vivement pressé par un arien dans un colloque sur la trinité, s’écrie que la parole de Dieu n’est pas pour être jetée à « de sales porcs. » Grégoire ne semble pas connaître d’autre distinction que celle des hérétiques et des croyans ; le dogme de la trinité fait pour lui toute la différence entre les élus et les réprouvés. C’est là le secret de l’immoralité des jugemens de ce saint homme, dont les actions étaient si vertueuses.

Pour défendre l’orthodoxie, le clergé avait les forces nécessaires. Nouveau venu dans les cadres de l’empire, il y avait glissé sa hiérarchie et il survivait à l’administration impériale. Quand il n’y eut plus de présidens, de vicaires, de préfets du prétoire, il y eut encore des évêques, des archevêques et des primats. La dignité épiscopale demeurant seule pour tenter l’ambition de cette aristocratie provinciale, qui était autrefois si avide des honneurs de l’empire, fut briguée par elle. On voulut être évêque, comme on aurait été jadis vicaire ou préfet. Sidoine est fils et petit-fils de préfets, mais il n’y a plus de préfecture : il est évêque de Clermont. Ajoutez que le rôle accessoire accordé par la législation impériale aux évêques dans l’administration des cités, est devenu très considérable après que les administrateurs civils ont disparu. La cité, c’est-à-dire le cadre où les barbares ont trouvé groupée la population romaine, n’ayant plus d’attache avec l’empire, ne vit plus que pour elle-même, et sa grande affaire est l’élection de son évêque, désormais son seul chef visible. L’Église a donc pris possession de la terre en même temps que des âmes.

C’est encore un des élémens de sa force que l’union de ses membres. Les évêques des cités sont en relations régulières les uns avec les autres. Il est vrai que les conciles sont régionaux, et les régions déterminées par les limites mêmes des royaumes barbares ; mais les évêques des différens royaumes sont en correspondance les uns avec les autres. Pour eux il n’y a pas de frontière wisigothique ou burgonde ; leurs lettres vont trouver en Orient les patriarches ; elles sont adressées plus souvent au patriarche de l’Occident, c’est-à-dire à l’évêque de Rome. Pour compléter l’analogie que je marquais tout à l’heure, de même que les évêques se sont substitués aux fonctionnaires impériaux, le pape se substitue à l’empereur. Léon le Grand, apostrophant la Rome impériale, s’écrie : « Ce sont les apôtres Pierre et Paul qui t’ont portée à ce point de gloire ! Nation sainte, peuple auguste, cité sacerdotale