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que dirigés sur des points où les armées devaient se rendre, ils ne soient pas remplacés par d’autres sur les positions inattendues où elles attendent ; qu’ils parviennent même, mais trop tard, ils auront été précédés par la faim, par la défaite, par la mort. La régularité de ces services est la condition non-seulement de la victoire, mais de l’existence pour les armées modernes. Si un ordre imperturbable et sans cesse rétabli ne gouverne pas le désordre des événemens, plus ces armées seront nombreuses, plus elles seront vite anéanties.

Or, pour assurer cet ordre, il faut des hommes, beaucoup d’hommes. L’on ne s’en rend pas compte, semble-t-il, et, en restreignant les effectifs des corps auxiliaires, pour accroître ceux des corps combattans, on croit augmenter la force de l’armée. Grave erreur dont nos dernières guerres auraient dû nous guérir. A-t-on oublié ces immenses approvisionnemens entassés sur toutes les voies de garage, encombrant tout de leur richesse inutile, et déchargés, à la paix, des wagons où ils avaient été placés aux première jours des hostilités ? ces transports de troupes, plus longs par les voies ferrées qu’ils ne l’auraient été par les routes ? ces trains de matériel, pris par l’ennemi, tandis qu’ils attendaient le moment de suivre à leur tour les lignes obstruées par d’autres trains ? ces troupes dépourvues de vêtemens et de nourriture ? ces blessés abandonnés sans secours ? Que manquait-il aux compagnies de chemins de fer pour débarquer ces approvisionnemens, rendre libres leurs voies, et leur matériel ? Des hommes. A l’administration, pour réunir, disposer en ordre, distribuer cette richesse, et rendre compte de son emploi ? Des hommes. Au train des équipages, pour faire parvenir au moment opportun les vivres, les munitions ? Des hommes. Au service des ambulances, pour recueillir sur les champs de bataille la moisson sanglante que le fer avait fauchée ? Des hommes. Barbarie plus grande que celle de la guerre même, car l’une ne tue que ses ennemis, et l’autre laisse périr ses enfans. Quand nos troupes combattaient à jeun, ou, faute de cartouches, cessaient de combattre, auraient-elles été moins fortes si quelques-uns des soldats, au lieu de souffrir inutilement avec les autres, leur avaient apporté des munitions et des vivres ? Auraient-elles été moins nombreuses sur les champs de bataille si une partie des troupes immobilisées dans des haltes avait, en dégageant les voies, assuré la rapidité des transports ? Auraient-elles perdu tant de Français si l’on eût relevé sur l’heure et pansé ceux qui ne sont morts que d’avoir été secourus trop tard ?

Il n’est pas un des changemens apportés à l’organisation des armées modernes qui n’ait pour conséquence le développement des services auxiliaires. Ce n’est pas trop, en temps de guerre, de les porter à 20 pour 100 de l’effectif. Si on leur fait passer, à ces