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défendre le service universel que le remplacement ne menaçait pas. Sous une loi qui impose à tous le service militaire, le remplacement n’est plus pour des soldats le droit de quitter l’armée, mais la faculté d’y changer de place. Il laisse intactes leurs obligations en temps de guerre, il leur permet de se substituer les uns aux autres durant la paix.

Cette substitution est avantageuse à ceux qui la demandent ; elle ne porte aucun changement à la condition des autres soldats, aucune atteinte à l’organisme militaire, puisqu’elle n’enlève ni un homme au contingent, ni une heure au service ; elle accroît la force de l’armée, qu’elle compose non par la contrainte mais par de libres choix. L’état a-t-il le droit de l’interdire ? Quand deux hommes se sont entendus pour accomplir l’un la tâche de l’autre, sous quel prétexte briser leur contrat ? Eux, par leur convention, laissent intacte la force dont l’état a besoin ; l’état par son refus blesse sans intérêt deux intérêts. Dira-t-on que le remplacement ruine l’égalité ? mais l’inégalité résulte de la nécessité même qui établit un service de durée différente : supprimer le remplacement, c’est vouloir que cette inégalité soit contrainte, non choisie ; c’est imposer à ceux qui régleraient leur sort par leur volonté commune le respect du hasard qui les a blessés. Dira-t-on que l’immoralité du contrat est dans le prix payé au remplaçant par le remplacé ? C’est reconnaître que, gratuite, la convention serait licite ; et comment la rémunération d’un acte licite le transformerait-elle en un acte immoral ? Il y a donc dans l’argent quelque chose de vil ? On ne s’attendait guère à trouver cette singulière délicatesse dans le siècle où nous sommes, ce dédain aristocratique sur les lèvres qui le professent. C’est une démocratie où l’horreur des fonctions gratuites s’est élevée à la hauteur d’un principe, où les plus importantes, les plus humbles, les moins durables, les plus inutiles ont leur solde, où le député reçoit son traitement, le conseiller municipal des grandes villes son jeton de présence, le juré sa taxe, l’électeur sénatorial son indemnité, qui s’indigne si un homme, pour prendre la place d’un autre dans un métier rude, sans profits et pour quatre années et demie, accepte un salaire ! Qu’est donc, dans l’armée elle-même, le traitement des officiers, qu’est la prime des sous-officiers, et leur retraite, sinon le prix de leur temps ? Si ce prix modeste n’avilit pas l’officier, pourquoi déshonorerait-il le soldat ? et tout serait-il donc mauvais ici, parce que le salaire du service, au lieu d’être à la charge de l’état, ne lui coûtera rien ?

Non-seulement ce prix est légitime, mais il est indispensable pour acquérir à l’armée les hommes que leur goût y porte. Qu’on réfléchisse à la manière dont se décident les vocations. Elles naissent par une sympathie mystérieuse entre certaines natures et certains