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aucun excès : ni dans la mièvrerie, ni dans la vulgarité. Elle est spirituelle sans caricature, facile sans trivialité. Elle a le ton libre, mais jamais libertin ; toujours elle reste de bonne compagnie. Comme de la bassesse, elle se garde de la fadeur : dans le Roi l’a dit, le sentiment n’alanguit pas l’esprit. Les amours n’y sont qu’amourettes ; on s’aime un peu, beaucoup peut-être, jamais passionnément ; on s’embrasse gentiment, mais pas bien fort. Chacun est joyeux ; personne ne se chagrine ou ne fait effort, sauf à propos d’une révérence perdue et bientôt retrouvée. Tout est clair, tout est gai ; partout l’on entend des voix et des rires de femmes. Il y a sept rôles féminins dans la partition, et ce babil flûte lui donne quelque chose de vif et de dégage. La soubrette, les quatre petites pensionnaires vêtues de rose ou de bleu, les deux amoureux travestis font tous ensemble un ramage charmant. Le finale du second acte : Ah ! qu’il est doux d’avoir un frère ! est sous ce rapport une page de tout point exquise. Le contour de la mélodie est élégant, l’expression en est câline. De plus, l’idée est traitée avec une souplesse, avec une légèreté de main qui ajoute encore à sa grâce et semble lui donner des ailes. Elle voltige d’un bout à l’autre de ce finale ; elle se dérobe pour reparaître par d’ingénieuses rentrées, toujours aimable et toujours bienvenue. Cette musique est écrite du bout des doigts pour être chantée du bout des lèvres.

Le second finale est le plus agréable, mais les deux autres ne sont pas loin de le valoir. Le premier contient une réjouissante imitation des chœurs fugues de Bach ou de Hæendel ; le dernier est plein de prestesse et de spirituelle bonhomie Nous aurions encore plus d’une perle à citer : au premier acte, la scène de la révérence et le chœur plaisamment solennel de la chaise à porteurs, les couplets de Jacquot ; au second acte, le trio de Benoît et de ses petits beaux-frères, avec ses deux mouvemens, très jolis tous deux, et reliés par de charmantes ritournelles d’orchestre. Tout cela constitue une œuvre ténue, mais élégante, un roseau, dira-t-on peut-être, mais il y a des roseaux pensans. Encore une fois M. Delibes a retrouvé l’esprit d’autrefois ; il y joint tout le savoir d’aujourd’hui, ce qui ne gâte rien. Si le spirituel musicien a parié de démentir le proverbe évangélique et d’enfermer du vin vieux dans des outres neuves, il a gagné sa gageure.

MM. Ritt et Gailhard viennent de nous donner Sigurd, travaillé si longtemps, si longtemps attendu. Ils l’ont monté avec une promptitude inaccoutumée avant eux, et dont ils méritent d’être remerciés. Quant à M. Reyer, l’accueil fait à son œuvre maîtresse peut le consoler de l’hospitalité tardive qu’elle a reçue ici. Les musiciens, qui l’avaient comme nous appréciée déjà à Bruxelles, ne se sont pas déjugés à Paris.

Le poème de MM. du Locle et Blau est allemand et wagnérien. —