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rebelles. Ces incidens, il faut l’avouer, compliquent singulièrement le problème de notre établissement dans ces régions de l’Indo-Chine en nous dévoilant, une fois de plus, des difficultés, des résistances qui ne sont point certainement au-dessus d’une volonté résolue, qui ne laissent pas néanmoins de déconcerter, de fatiguer l’opinion. Et c’est ainsi que rien ne finit dans cet ordre d’entreprises ; que cette politique coloniale, à laquelle on a déjà tant sacrifié, réserve peut-être encore bien des surprises, uniquement parce que, dès l’origine, on n’a su ni se fixer un but, ni évaluer les moyens d’action qu’on devait déployer, parce qu’on s’est mis, comme on l’a dit un jour, à la merci des événemens.

Oui assurément, on s’est laissé entraîner en cela comme on s’est laissé entraîner dans les finances, dans toutes les affaires intérieures. On est allé à l’aventure sans prévoir les conséquences d’une politique de parti, de cet abus organisé des forces et des ressources de la France. Qu’arrive-t-il aujourd’hui ? On se trouve, à la veille des élections prochaines, en présence d’une lassitude assez générale qu’on sent bien, dont on ne veut pas néanmoins s’avouer les causes et qui tient tout simplement à ces excès auxquels on s’est livré dans un intérêt mal entendu de popularité et de domination. S’imagine-t-on, par hasard, qu’il soit possible de surmener indéfiniment et impunément un pays comme on l’a fait ? Un député laborieux et zélé pour les finances publiques, M. le baron de Mackau, révélait l’autre jour que, sans compter tous les emprunts de l’état, on avait entraîné les départemens et les communes à surcharger leur dette de plus de 1,200 millions. M. Henri Germain, dans un habile et substantiel discours qu’il a prononcé dans la discussion du budget, montrait ces jours derniers encore que la différence entre les recettes et les dépenses ou, en d’autres termes, le déficit était de 600 millions. On a beau varier les budgets pour dissimuler la vérité, épuiser les expédiens et les combinaisons, créer toute sorte de caisses spéciales, caisse des écoles, caisse des chemins de fer, etc. : le résultat est toujours le même, le déficit est au fond de tout, et c’est la France qui doit payer. La France à la fin se fatigue, et la plus singulière des illusions est de se figurer qu’on l’abuse en lui persuadant qu’elle paie et qu’elle souffre pour son bien !

La France peut longtemps souffrir d’un mauvais gouvernement, à coup sûr ; au fond, elle n’est pas aussi facile à tromper qu’on le croit, et il n’est point douteux que cette politique d’agitation, d’imprévoyance qu’on a suivie ne répond ni aux vœux, ni aux instincts de l’immense masse nationale qui travaille sans bruit, qui ne demande qu’à vivre en paix, à être respectée dans ses croyances, dans ses sentimens, comme dans ses intérêts. Un des phénomènes les plus singuliers, au contraire, est cette différence frappante, saisissante qui éclate à tout