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tout en conservant la langue et les noms de leurs ancêtres. Ils combattirent partout au premier rang dans les batailles qui assurèrent la Hongrie aux Turcs. De temps en temps, leurs bandes passaient la Save et allaient ravager l’Istrie, la Carniole et menacer les terres de Venise. Après le mémorable défaite des Turcs devant Vienne, leur puissance est brisée. En 1689 et 1697, les troupes croates envahissent la Bosnie. Le traité de Carlovitz de 1689 et celui de Passarovitz de 1718 rejetèrent définitivement les Turcs au-delà du Danube et de la Save jusqu’à la Roumanie.

Pour bien faire comprendre les résistances que l’Autriche peut rencontrer de la part des Bosniaques musulmans, il faut rappeler que ceux-ci se sont soulevés, les armes à la main, contre toutes les réformes que l’Europe arrachait à la Porte, au nom des principes modernes. Après la destruction des janissaires et les réformes de Mahamoud, ils s’insurgent et chassent le gouverneur. Le capétan de Gradachatch, Hussein, se met à la tête des begs révoltés, qui, unis aux Albanais, s’emparent des villes de Prisren, Ipek, Sophia et Nisch, pillent la Bulgarie et veulent détrôner le sultan vendu aux giaours. L’insurrection n’est vaincue en Bosnie qu’en 1831. En 1836, 1837 et 1839, nouveaux soulèvemens. Le hattischerif de Gulhané, qui proclamait l’égalité entre musulmans et chrétiens, provoqua une insurrection plus formidable que les précédentes. Omer-Pacha, après l’avoir comprimée, brisa définitivement la puissance des begs, en leur enlevant tous leurs privilèges. Ce qui montre combien les temps sont changés, c’est que les troubles de 1874, qui ont amené la situation actuelle et l’occupation de l’Autriche, provenaient non plus des begs, mais des rayas, qui jusqu’alors s’étaient laissé rançonner et maltraiter sans résistance, tant ils étaient brisés et asservis.

De ce résumé du passé de la Bosnie on peut tirer quelques conclusions utiles. Premièrement l’histoire, la race et les nécessités géographiques commandent la réunion de la Dalmatie et de la Bosnie. Cet infortuné pays a connu trois périodes de prospérité, d’abord sous les Romains, puis sous le grand ban Kulin et enfin sous le roi Tvartko c’est-à-dire quand le commerce et la civilisation pénétraient à l’intérieur par le littoral dalmate. Seconde conclusion : l’intolérance et les persécutions religieuses ont perdu le pays et provoqué la haine du nom hongrois ; il faut donc à l’avenir traiter les trois confessions sur le pied d’une complète égalité. Troisième conclusion : les musulmans forment un élément d’opposition et de réaction dangereux et difficilement assimilable ; il faut donc les ménager, mais diminuer leur puissance, autant que possible, et surtout ne pas les retenir quand ils veulent quitter le pays. La Serbie, la Bulgarie et la