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Roumélie ont cet avantage que les musulmans, étant Turcs, sont partis ou s’en vont. Ici, étant Slaves, ils restent pour la plupart. De là de grandes difficultés et de plus d’une sorte.

Pour me rendre de Brod à Serajewo, je n’ai pas à refaire le voyage accidenté que M. de Caix a raconté ici même. Le chemin de fer est achevé maintenant; je pars donc à six heures du matin et j’arrive vers onze heures du soir, de la façon la plus agréable. Comme la voie est très étroite, le train marche lentement et s’arrête longtemps à toutes les gares. Mais le pays est très beau et ses habitans d’une couleur locale très accentuée. Je ne me plains donc nullement de ne pas rouler en express, Il me semble voyager en voiturin, comme autrefois en Italie. J’observe tant que je peux, j’interroge de même mes compagnons de wagon et je prends des notes. Précisément j’ai à côté de moi un Finanz-Rath, un conseiller des finances, c’est-à-dire un employé supérieur du fisc, qui revient d’un tournée d’inspection. Il connaît à merveille l’agriculture du pays, son régime agraire et ses conditions économiques. Je l’avais pris d’abord pour un officier de cavalerie en petite tenue. Il porte la casquette militaire, un veston court brun clair, avec des étoiles au collet indiquant le grade, des poches nombreuses par devant, un pantalon collant et des bottes hongroises, plus un grand sabre. Les magistrats, les chefs de district, les gardes forestiers, les gardes du train et de la police, tous les fonctionnaires ont cet uniforme, identique de coupe, mais différent de couleur d’après la branche de l’administration à laquelle ils appartiennent; excellent costume, commode pour voyager, et qui, par son cachet militaire, inspire le respect aux populations de ce pays à peine pacifié.

Au départ, la voie suit la Save à quelque distance. Elle traverse de grandes plaines abandonnées, quoique très fertiles, à en juger par la hauteur de l’herbe et la pousse vigoureuse des arbres. Mais c’est la marche, où se livraient naguère encore les combats de frontières. Nous remontons un petit affluent de la Save, l’Ukrina, jusqu’à Derwent, gros village, où, non loin de la mosquée en bois, avec son minaret aigu recouvert de zinc brillant au soleil, s’élève une chapelle du rite oriental, aussi tout en bois, avec un petit campanile séparé, protégeant la cloche. A partir d’ici, la voie fait de grands lacets pour franchir la crête de partage qui nous sépare du bassin de la Bosna. Il faudra un jour continuer la ligne de Serajewo, sans quitter la Bosna, jusqu’à Samac, où déjà aboutit un embranchement allant à Vrpolje et qui devrait être prolongé en ligne droite, sur Essek par Djakovo.

Par-ci par-là, on voit des chaumières faites en clayonnage ; elles sont posées sur un soubassement de pierres et couvertes de planchettes