Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/559

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rapidement, par l’influence des routes et de la circulation plus active de l’argent ; la charge pesant sur les tenanciers s’allégera donc sans cesse. Peu à peu, avec leurs économies, ils pourront racheter la rente perpétuelle qui grève la terre qu’ils occupent et acquérir ainsi une propriété pleine et libre. En attendant, ils jouiront de ces deux privilèges si vivement réclamés par les tenanciers irlandais : fixity of tenure et fixity of rent, c’est-à-dire le droit d’occupation perpétuelle moyennant un fermage fixe. Ils seront dans la situation de ces fermiers héréditaires, à qui le bektemreyt, en Groningue, et l’aforamento, dans le nord du Portugal, assurent une situation si aisée, obtenue par une culture très soignée.

L’état peut encore venir en aide aux kmets d’une autre façon. D’après le droit musulman, toutes les forêts et les pâturages qui y sont enclavés appartiennent au souverain. On affirme aussi qu’il y a un grand nombre de domaines dont les begs se sont indûment emparés. L’état doit énergiquement faire valoir ses droits : d’abord pour garantir la conservation des bois ; en second lieu, afin de pouvoir faire des concessions de terrains à des colons étrangers et aux familles indigènes laborieuses. Pendant son voyage en Bosnie en 1883, M. de Kallay a pu constater que le défrichement mettait en valeur beaucoup de terrains vagues appartenant à l’état et que la taxe payée de ce chef s’accroissait d’une façon tout à fait extraordinaire. Symptôme excellent, car il prouve que, dès qu’ils auront la sécurité, les paysans étendront leurs cultures. De cette façon, la population et la richesse s’accroîtront rapidement.

Le gouvernement peut aussi exercer une action très utile au moyen des vakoufs. Il faut bien se garder de les vendre, mais il convient de les soumettre à un contrôle rigoureux, comme la Porte a essayé de le faire à différentes reprises. Tout d’abord, les prélibations indues des administrateurs doivent être sévèrement réprimées ; puis les revenus destinés à des œuvres utiles : écoles, bains, fontaines, doivent être soigneusement appliqués à leur destination, et ceux qui allaient à des mosquées devenues inutiles, employés désormais à développer l’instruction publique. Il faudrait aussi accorder immédiatement aux kmets occupant des terres des vakoufs, la fixité de la tenure et du fermage et en même temps des bâtimens d’exploitation convenables et de bons instrumens aratoires, afin que ces exploitations servent de modèles à celles qui les entourent. Le gouvernement a fait venir des charrues, des herses, des batteuses, des vanneuses perfectionnées et les a mises à la disposition de certaines exploitations. De divers côtés, des sociétés d’agriculture se sont constituées pour patronner les méthodes nouvelles. Des colons venus du Tyrol et du Wurtemberg ont appliqué ici des systèmes de culture