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le général Rusca tombait mort, frappé d’un biscaïen à la tête. A deux heures, le feu des pièces de la place étant presque éteint, un bataillon russe pénétrait dans la ville par une ancienne brèche du rempart Saint-Médard, qu’on avait négligé de boucher, tandis que le gros des assaillans forçait la porte du faubourg Saint-Vaast. Il y eut panique. Les officiers ramenèrent leurs soldats au feu. On se battit sur le pont, dans les rues ; enfin, une partie de la garnison put opérer sa retraite par la porte Saint-Christophe et gagner la route de Compiègne. Winzingerode n’occupa point longtemps Soissons. Le 16 février, à la nouvelle des défaites des alliés à Champaubert et à Vauchamps, il évacua la ville, qui fut réoccupée, le 19, par les Français.

Napoléon, que le coup de main des Russes sur Soissons avait à la fois surpris et irrité, donna des ordres formels pour que la ville fût solidement défendue[1]. Le ministre de la guerre dépêcha à Soissons un de ses aides-de-camp, le colonel Müller, avec mission d’inspecter la place. Le rapport conclut que Soissons est tombé au pouvoir de l’ennemi, faute de mesures de défense qu’il eût été aisé de prendre, que la place peut être mise en quelques heures en état da résister, mais que, tout d’abord, « il faut envoyer à Soissons un commandant instruit et ferme[2]. » Le choix du ministre se porta sur un officier qui, rien du moins ne le fait supposer, n’était pas particulièrement instruit et qui, en tous cas, manquait de fermeté. C’était un général de brigade, nommé Moreau[3]. Le 11 février, il avait défendu, ou plutôt il s’était préparé à défendre Auxerre contre les Autrichiens, et Clarke, abusé sur cette prétendue défense, le croyait un foudre de guerre[4]. Le général Moreau partit pour Soissons, où déjà était l’assemblée une nouvelle garnison, peu nombreuse, à la vérité, mais composée de soldats aguerris : un bataillon

  1. Correspondance de Napoléon, n° 21,290 et 21,309; Moniteur du 18 février. Mémoires du roi Joseph. (Lettre à Clarke, 25 février.)
  2. Rapport du colonel Müller, 23 février (Archives de la guerre).
  3. Jean-Louis Moreau, baron de l’empire, né à Lyon le 14 janvier 1755. (Dossier de Moreau, Archives de la guerre.)
  4. « J’ai lieu d’être persuadé que vous saurez défendre cette ville (Soissons) avec la vigueur et l’énergie que vous avez montrée pour la dépense de la ville d’Auxerre. » (Lettre de Clarke à Moreau, 27 février, Archives de la guerre). La vigueur et l’énergie de Moreau s’étaient réduites à ceci : le 10 février, Moreau, sommé de capituler par trente dragons autrichiens, avait répondu qu’il «défendrait la ville jusqu’à la mort, » et le 11 février, 2,000 Autrichiens étant en vue, il avait quitté Auxerre sans même attendre l’arrivée du parlementaire, qui fut reçu par les autorités municipales. Pas un coup de feu ne fut tiré. — Il est juste de dire que Moreau avait à Auxerre fort peu de troupes avec lui et que, d’ailleurs, les habitans ne voulaient pas se défendre. Si la conduite de Moreau, dans cette circonstance, ne méritait peut-être pas de blâme, encore moins méritait-elle des éloges.