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surlendemain 4 mars, et cet assaut réussirait-il ? Or, dans les conditions particulières où se trouvaient les assiégeans, pressés d’avoir le passage du pont de la ville, il ne s’agissait pas de prendre Soissons, avec plus ou moins de gloire, à un jour indéterminé : il fallait l’occuper immédiatement. Winzingerode pensa que des négociations pourraient peut-être lui livrer la place. À dix heures et demie du soir, il envoya un parlementaire. La même idée était venue à l’esprit de Bulow, si bien que, au moment même où le colonel de Lowenstern se présentait à la porte de Reims, au nom du commandant de l’armée russe, le capitaine Mertens se présentait à la porte de Crouy au nom du général prussien. Les deux officiers demandèrent à être conduits près du commandant supérieur, ce qui leur fut accordé sans difficulté. Moreau les reçut dans son appartement particulier[1].

Un officier énergique et bien résolu à se défendre eût arrêté l’entretien au premier mot de capitulation. Le commandant de Soissons n’avait pas à compter encore avec une situation désespérée. Ses remparts étaient à peu près intacts, ses troupes, que douze heures de bombardement et une sortie meurtrière n’avaient diminuées que d’un dixième, avaient montré la plus rare intrépidité, ses munitions étaient en abondance, la nuit allait permettre de réparer les embrasures, les abris, et de replacer en batterie les pièces démontées. De plus, pendant la journée, on avait entendu le canon dans la direction de l’Ourcq[2]. Moreau ne l’ignorait pas, et ce fait d’une si haute importance pour des assiégés devait lui faire repousser toute idée de reddition immédiate. En tout cas, il pouvait sans péril différer les pourparlers jusqu’au lendemain. C’était toujours huit heures de gagnées, huit heures de nuit pendant lesquelles l’ennemi n’était pas à redouter si les grands’gardes ne se laissaient pas surprendre. Au cas où il paraîtrait impossible, le lendemain matin, de continuer la défense, il serait toujours temps de hisser le drapeau parlementaire. Moreau se montra donc à tout le moins inconsidéré en écoutant complaisamment les envoyés de l’ennemi.

Le capitaine Mertens, aide-de-camp de Bulow, était un fin diplomate

  1. Rapport de Bulow au roi de Prusse sur la capitulation de Soissons, 10 mars. Bogdanowitch, t. I, p. 304, 305 ; Plotho, t. III. p. 389. Cf. le rapport de Moreau sur la capitulation de Soissons et sa lettre justificative. (Archives de la guerre.)
    L’importance de cette capitulation était tellement reconnue par les Prussiens et les Russes, — quoi qu’en dise Muffling, — que les historiens russes et prussiens discutent encore pour savoir qui, de Mertens ou Lowenstern, emporta par son éloquence la capitulation. Moreau dit qu’ils se présentèrent tous les deux ensemble. Il est probable qu’ils parlèrent tous les deux à la fois et qu’ainsi il peut y avoir doute sur celui qui intimida Moreau, selon le mot de Brayer.
  2. Rapport du conseil d’enquête sur la capitulation de Soissons. (Archives de la guerre.)