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Marmont : « Les troupes de Blücher, dit-il, eussent été perdues si elles avaient été forcées de combattre dans la position qu’elles occupaient. » C’est enfin le Journal de marche du général comte de Langeron, où on lit : « Dans les circonstances où l’on se trouvait, jamais succès ne fut obtenu plus à temps... La prise de Soissons fut de la plus grande utilité et rendit un service bien essentiel à la cause commune[1]. » Après les témoignages des officiers qui furent acteurs dans ces grands événemens, voici le jugement des historiens qui les racontent. Plotho dit : « La possession de Soissons était de la plus grande importance pour l’armée de Silésie, qui, sans le pont de cette ville, ne pouvait passer l’Aisne qu’en faisant de grands détours et avec les plus grandes difficultés[2]. » Rau et Hauel de Cronenthal, non plus que Droysen, ne prononcent, mais du tableau qu’ils présentent des positions de l’armée française et de l’armée alliée le 3 mars, et de la misère et de l’abattement qu’ils signalent chez celle-ci, il résulte que Blücher était en grave péril. Selon Bogdanowitch, enfin, a sans la prise de Soissons, Napoléon eût atteint l’armée de Silésie en pleine dissolution[3]. »

A la vérité, Muffling, Vanhagen von Ense et Damitz prennent parti pour Blücher, qui ne voulut jamais convenir qu’il eût été dans une situation critique. C’eût été reconnaître, d’une part, que sa marche sur Paris avait été au moins imprudente ; d’autre part, qu’il avait été sauvé par ses lieutenans, dont l’un était Russe. En qualité de général en chef, et plus encore de Prussien, — car, tout alliés qu’ils fussent, les Prussiens et les Russes, n’étaient guère camarades, — Blücher était peu disposé à avouer la chose. Comme on l’a vu, le feld-maréchal avait très froidement accueilli Bulow lors de leur première entrevue. Plus tard, il témoigna au roi de Prusse son mécontentement des termes du rapport sur la reddition de Soissons. De même, il se plaignit vivement de Winzingerode, répétant à mainte reprise que ce général n’avait pas exécuté ses ordres ; qu’au lieu de s’attarder devant Soissons, « misérable bicoque, elendes Nest, » dont la position n’avait aucune importance, il eût dû le joindre à Oulchy[4]. Blücher ajoutait que, d’ailleurs, bien qu’il fût séparé de Bulow par l’Aisne, de Winzingerode par une distance de 15 à 20 kilomètres, il ne se trouvait pas dans une situation périlleuse. S’il était pressé en queue par Marmont et Mortier, s’il était menacé sur son flanc droit par Napoléon, les ducs de Raguse et de Trévise n’étaient pas en force pour l’attaquer à fond et il avait un jour d’avance sur l’empereur. Il pouvait donc échapper aux Français par le pont de

  1. Journal de Langeron (Archives topographiques de Saint-Pétersbourg.)
  2. Plotho, t. III. p. 284.
  3. Bogdanowitch, t. I, p. 307.
  4. Varnhagen, p. 359-360. Muffling, Aus meinem Leben, p. 125-120.