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rivière, qui n’est pas encaissée, immerge les prairies et atteint parfois au triple de cette largeur. Ce pont eût-il été praticable à l’artillerie? En tout cas, celui que Bulow avait jeté la veille à Vailly, ne l’était point[1]. Selon Muffling, qui, en qualité de quartier-maître-général de l’armée de Silésie, était bien informé, l’artillerie et toutes les troupes eussent suivi les bagages et passé à Berry-au-Bac : « Toute l’armée de Silésie, dit-il textuellement, aurait effectué son passage à Berry-au-Bac dans la journée du 4. »

C’est à croire, en vérité, que Muffling n’a pas regardé la carte, ou qu’il n’a jamais guidé une colonne avec de l’artillerie et des bagages. D’Oulchy, où se trouvaient concentrées les troupes prussiennes dans l’après-midi du 3, à Berry-au-Bac il y avait 60 kilomètres, car, faute de voie directe, il fallait prendre la grande route de Soissons à Reims[2]. C’eût été miracle pour une armée de faire 60 kilomètres et de passer une rivière sur un seul point en trente heures. Fatiguées comme elles l’étaient, il eût fallu certainement deux étapes aux troupes de Blücher pour atteindre le pont de Berry. Or, comme le mouvement ne devait commencer qu’à quatre heures, le 3[3], les têtes de colonnes seraient arrivées au plus tôt à Berry-au-Bac dans la nuit du 4 au 5 mars. Et quand fussent arrivés le gros et la queue ? Kapzewitch et Korff étaient encore au bord de l’Ourcq, à 70 kilomètres de Berry-au-Bac, le 4, à cinq heures du matin[4]. Si nous remarquons maintenant que, pour aller d’Oulchy à Berry-au-Bac, l’armée devait passer par Braisne et Fismes; que l’avant garde de l’empereur était près de Braisne, le 4 mars, dans la journée[5] ; que Napoléon était à Fismes dans la soirée[6] ; enfin, fait absolument décisif, qu’une colonne de bagages, partie le 3, à midi, d’Oulchy pour Berry-au-Bac, et n’ayant pas reçu contre-ordre la rappelant vers Soissons, fut attaquée le 4, dans l’après-midi, entre Fismes et Braisne, par la cavalerie du général Roussel[7], il devient évident que Muffling est mal fondé à

  1. Bogdanowitch, t. I, p. 310.
  2. Voir la carte de Cassini. — Ajoutons qu’il fallait quitter cette route à Fismes et qu’on devait alors faire plus de quatre lieues, par les plus mauvais chemins, pour rejoindre la route de Reims à Berry.
  3. Ordre de marche de Gneisenau pour la journée du 3 mars. Oulchy, 3 mars, six heures du matin.
  4. Journal de Langeron. (Archives topographiques de Saint-Pétersbourg.) Bogdanowich, t. I, p. 311. Cf. Droysen, t. III. p. 334.
  5. Journal de marche de la division Roussel. Lettres de Roussel à Grouchy et de Grouchy à Roussel, 4 et 5 mars. (Archives de la guerre.)
  6. Correspondance de Napoléon, n° 21,427-21.430.
  7. Journal du général Langeron. (Archives topographique de Saint-Pétersbourg.) Journal de marche de la division Roussel, Correspondance entre Grouchy et Roussel, 4 et 5 mars. (Archives de la guerre.)