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lution du grand conflit entre la science et la religion qui divise notre époque. Il y a là un signe du temps. Ce retour de l’extrême Occident vers l’extrême Orient, comme vers l’aurore de ses plus sublimes révélations, n’est pas le regret maladif d’un passé reculé, mais plutôt l’affirmation instinctive de la Vérité une, qui domine tous les siècles, toutes les races, en grandissant d’âge en âge. Dans l’écroulement de l’ancienne foi, dans l’incertitude de la science sur les causes et les fins dernières, l’Inde a peut-être encore des secrets à nous dire. Quoi qu’il en soit, ce même problème de la destinée, de la vie et de la mort, qui nous agite toujours, avait chassé de son harem plein de délices le fils d’un roi, six cents ans avant notre ère, pour le pousser dans la solitude et dans l’ascétisme, d’où il sortit en réformateur doux et redoutable. Jamais peut-être ne vit-on si grand et si terrible effort de l’âme sur elle-même pour échapper au tourbillon de la vie et aux prises du temps ; jamais n’essaya-t-on de briser les portes de l’infini d’une si audacieuse logique, d’une si persévérante énergie.

Avec l’aide de M. Arnold, nous allons essayer de raconter à notre tour la pathétique histoire de Çâkya-Mouni. Pour achever ce tableau, nous aurons recours à l’ensemble des légendes sur le Bouddha. Avant tout, nous nous efforcerons de mettre en relief le drame intérieur qui se déroula dans cette grande conscience.

II.

Six cents ans avant le Christ, dans le Népal, au sud de l’Himalaya, s’élevait la ville de Kapilavastou. Un pays d’abondance riait aux entours. D’un côté, les collines mamelonnées se perdaient par une fuite insensible dans l’immensité des plaines ; de l’autre, s’étageaient des chaînes de pourpre sombre et d’émeraude ; par-dessus, les plus hautes cimes de la terre brillaient comme un diadème d’argent.

Dans cette ville régnait un roi juste. Il s’appelait Çouddhôdana et appartenait à la race des Gautamides, ou fils du soleil. Il épousa une femme de sa propre race, du nom de Maya. Elle avait des cheveux d’or, une âme tendre ; et la volupté timide nageait dans son sourire. On dit, en Inde, que les mariages d’amour sont faits par les Gandharvas, les musiciens célestes. Ces invisibles jouèrent des mélodies éthérées et ravissantes aux noces de Çouddhôdana et de Maya. Cependant, les années s’écoulaient et les époux n’avaient pas d’enfant. Une nuit, dormant près de son seigneur, Maya fit un songe étrange. Elle crut voir une étoile du ciel, splendide, à six rayons, couleur de perle rose, venir du fond de l’espace comme un météore. À mesure qu’elle se rapprochait, Maya aperçut à son centre,