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LA LÉGENDE DU BOUDDHA.

se réjouit en les voyant passer la main dans la main, cœur battant contre cœur. Elle avait rejeté le voile sur son visage.

Le mariage fut célébré selon le rite des Çâkyas. On fit mettre aux époux deux pailles dans une jatte de lait pour qu’elles se joignissent, ce qui veut dire : Amour jusqu’à la mort. On lia leurs vêtemens ensemble, on étendit les couronnes sur leurs têtes, on chanta les mantras. Et le père de Yasôdhara dit à Siddârtha : — « Prince vénéré, celle qui était à nous est maintenant à toi seul. Sois bon pour elle, qui a sa vie en toi ! »

Mais le père de Siddârtha ne se fiait pas à l’amour seul pour détourner son fils de l’ascétisme. À cet amour il réservait une prison enchanteresse. Près de la ville de Kapilavastou s’élevait une colline baignée par le Rohini. Un bois de tamaris la bordait au sud et le bruit de la ville n’y arrivait que comme un bourdonnement d’abeilles. À l’horizon septentrional on voyait surgir en rampes immaculées l’énorme rempart de l’Himalaya : plateaux, crêtes, précipices, sommets inaccessibles et, dans les mirages de l’air, les forêts enroulées aux flancs des monts en écharpes sombres parmi les cataractes tombantes et les voiles de nuages. — En face de ce paysage, sur une colline riante, le père de Siddârtha fit construire un pavillon de plaisance pour les nouveaux mariés. Frais et caressant séjour ! On y passait sur des seuils d’albâtre, sous des linteaux de lapis-lazuli, par des portes en bois de santal, parmi des faisceaux de colonnes multicolores. On s’y reposait près de fontaines bordées de lotus, où dansaient des poissons écarlates et azurés. Dans les jardins erraient les paons, les hérons et les daims musqués.

La merveille du lieu, c’était la chambre nuptiale. On y pénétrait par un square cloîtré, qui tamisait une lumière verdâtre. Dans ce sanctuaire de l’amour régnait un demi-jour apaisant. Des lampes parfumées luisaient derrière des treillis de nacre et caressaient doucement la splendeur des tentures et des couches moelleuses. Dans l’air flottait avec des sons de luth la vague lumière d’un soir voluptueux et attendri. — C’est là que le prince venait savourer les longues heures de l’amour avec la belle Yasôdhara. Avait-il soif ? Aussitôt des échansons apportaient des sorbets de fruits et de neige. La fatigue le prenait-elle ? Une bande choisie de bayadères venait lier devant lui une danse rêveuse au son des clochettes d’argent. Ces bras entrelacés sous les vapeurs bleuâtres des parfums brûlés réveillaient ses sens assoupis. Quelque tristesse effleurait-elle son front ? Une musique langoureuse l’invitait à chercher l’oubli dans les bras inassouvis de Yasôdhara. — Par ordre du roi, il était défendu de prononcer même le nom de la mort dans ce lieu de délices. La douleur n’avait pas le droit d’entrer dans cet asile. Tout