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les quatre vérités qui enferment la sagesse comme les rivages enferment la mer. Yasôdhara avait pris l’écuelle de son mari et écoutait avec de grands yeux. Une nouvelle lumière éclairait son regard charmant, un nouveau soleil essuyait ses larmes.


Près de l’actuelle Mâgara, emplacement de la cité disparue du roi Çouddhôdana, il y avait dans les jours anciens des jardins splendides étagés en terrasse sur la colline. Çà et là des fontaines et des pavillons d’été. Sous ces ombrages délicieux, les torrens coulant des montagnes entretenaient une fraîcheur éternelle dans un éternel printemps. C’est là que le Bouddha enseigna souvent sa doctrine. Le maître était entouré d’une assemblée de brahmanes, de religieux, de gens venus de toutes les parties de l’Inde. Près de lui se tenaient attentifs beaucoup d’hommes de la race de Çâkya, son disciple favori Ananda et son cousin Dévadatta. Entre ses genoux souriait son fils Rahoula ; ses yeux émerveillés d’adolescent regardaient le visage imposant de son père. Aux pieds du maître était assise la douce Yasôdhara, jadis son épouse, maintenant la plus proche de ses sœurs innombrables, sans angoisse de cœur, prévoyant qu’un noble amour qui ne se nourrit pas des sens, qu’une vie qui ne connaît pas d’âge met fin à la mort au dedans de nous-mêmes. La sagesse coulait des lèvres du Bouddha. Il disait :


Ce n’est pas avec des paroles qu’on mesure l’infini, et le fil de la pensée se perd dans l’abîme insondable. Celui qui questionne se trompe ; celui qui répond se trompe ; ne dis rien.

Les livres disent qu’au commencement, Brahma méditait dans la nuit. Mais aucun œil mortel ne l’a aperçu. Voile après voile se lèvera ; la lumière augmentera ; mais les voiles eux-mêmes sont sans nombre.

Ce qu’il vous importe de savoir, c’est que toute cause engendre un effet. Terre, ciel et mondes tournent sur une roue que rien ne peut arrêter. Ne pensez pas qu’à votre prière, l’obscurité se changera en lumière. Ne cherchez pas à gagner la faveur des dieux impuissans par des sacrifices et de vains dons.

Oh ! frères et sœurs, c’est en vous-mêmes qu’il faut chercher la délivrance ; car l’homme se bâtit lui-même sa prison. Dans les cieux bienheureux, les anges recueillent le fruit de leur passé ; dans les mondes inférieurs, les démons expient le mal qu’ils ont commis. La roue tourne sans cesse : celui qui monte peut redescendre ; celui qui tombe peut monter.

Mais rien ne vous force à rester liés sur la roue. Brisez les liens qui vous attachent ; et l’âme des choses vous sera douce, et dans le cœur de l’être vous trouverez un repos céleste.

Moi, le Bouddha, qui ai pleuré avec mes frères et dont le cœur a été