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LA LÉGENDE DU BOUDDHA.

mière : le désir. Cette manière de comprendre le Bouddha et son système est absolument matérialiste. L’âme, même lorsqu’elle renaît, n’existe que par l’union avec le corps. Entre ces diverses vies il y a ni souvenir ni lien. La matière est la cause de tout et le vide final le but à poursuivre. C’est par cette doctrine que le Bouddha aurait triomphé du brahmanisme et converti un tiers du genre humain.

L’autre Bouddha est celui que nous présentent les néo-bouddhistes indous et que M. Edwin Arnold a voulu nous peindre. C’est un Çâkya-Mouni d’un spiritualisme transcendant et d’une haute sérénité, beaucoup plus en rapport avec son milieu indou, avec les doctrines des Oupanishads, les spéculations brahmaniques et le panthéisme idéaliste du Védanta. Son côté négatif ne s’adresse qu’à la partie inférieure de l’homme ; son côté positif a pour but son épuration grandissante. S’il ne se lasse pas d’affirmer le néant de la matière, c’est pour pousser les hommes à la spiritualité. L’univers lui apparaît comme une immense évolution dont toutes les étapes coexistent dans l’infini, mais dont nous n’apercevons que les degrés inférieurs dans les règnes de la nature et dans les états déjà parcourus de l’humanité. Seulement, en dessous, derrière et au-dessus de cette évolution matérielle dont la science d’aujourd’hui n’admet que le côté extérieur et visible, la doctrine ésotérique, dont le Bouddha fut le premier grand vulgarisateur, aperçoit une contre-partie spirituelle qui est à la fois sa force impulsive et son but final. Car, de même que l’humanité, partie de l’animalité, aspire à un état divin, de même la monade qui constitue l’individu traverse toutes les échelles de l’être. Une fois parvenue à l’homme, ses incarnations successives s’entrecoupent de longues existences spirituelles qui sont à son évolution totale ce que le sommeil et le rêve sont à l’état de veille, mais qui, loin de supprimer la conscience, la développent et l’exaltent. Par ces migrations à travers des millions d’années, la conscience de l’âme va toujours s’élargissant et s’approfondissant, si bien, que, selon la légende, le Bouddha finit par se souvenir de ses existences antérieures, parce que, dès cette vie, il atteint à la perfection. Cette métaphysique nous paraît fort étrange à nous autres Occidentaux ; mais il est à observer que nous la retrouvons sous des noms et des formes diverses chez des hommes comme Pythagore, Empédocle et Platon, sans parler des néo-platoniciens, des gnostiques et autres théosophes. Chez le Bouddha elle devient à la fois le fondement de la morale et la raison de la charité universelle par la loi du Karma. Ce Karma est l’action réflexe d’une existence sur les suivantes ; les crimes ou les bonnes actions dans l’une produisant les souffrances renforcées ou le bonheur croissant dans les suivantes, aussi sûrement que dans le monde physique le mouvement engendre la cha-