qui veulent nouer des relations avec les chaumières, sont bien forcés de les employer. Au fond, ces patrons verbeux, ces grippe-sou, ces porte-balle ne sont que des bourgeois manques. Ils n’ont point la solide complexion du laboureur, ni cette noblesse que le travail au grand air imprime sur les traits. Leur geste est court, leur allure sautillante. Ils ont les défauts de la classe supérieure : faconde, timidité, indécision, mais aucune de ses qualités. Ils sont, à l’espèce des villes, ce qu’un sauvageon dégénéré est à un bon pommier de rapport. Ils contribuent à faire de la politique une vilaine -besogne. Un candidat qui leur distribue trop de poignées de main se dégoûte promptement du métier. Création transitoire, destinée à disparaître, à mesure que l’instruction se répand autour d’eux ; nains contrefaits, êtres hybrides, gnomes et lutins qui pullulent dans les ténèbres, mais que l’aurore du vingtième siècle chassera devant elle, pour faire place à des créatures plus solidement organisées.
Déjà, on voit surgir, dans les campagnes, des hommes autrement trempés pour la lutte : paysans par la structure, par la patience, par l’adresse des mains ; bourgeois par la mobilité du regard, et par l’étendue d’esprit. Chez eux, le travail du cerveau n’a pas fait du corps un simple appendice drapé de noir. Combien de fois leur conversation pittoresque nous a délassé du bavardage des villes ! Quelques-uns, plus sages, que les autres renoncent à toute ambition. Ils ont tâté de la science, ils se sont fait recevoir médecins, puis ils sont rentrés au nid paternel avec la résolution de n’en point sortir. Il nous a été donné de connaître un de ces philosophes champêtres. Ce vigoureux garçon, avec une toison crépue et un cou de taureau, avait des délicatesse de jeune fille. Comme la réalité est parfois supérieure au roman ! Il ne ressemblait guère à la race des révoltés et des déclassés, au Bénédict de George Sand ni à cet odieux Julien Sorel, qui, aujourd’hui, paraît-il, fait école. Il était impossible d’être plus simple. Son immense savoir, au lieu de lui tourner la tête, lui avait enseigné le prix des moindres choses. Bien souvent nous avons erré ensemble dans les sentiers bordés de haies. Il déchiffrait dans un caillou l’histoire du globe. Nous rapportions à la maison d’étonnantes découvertes, une plante rare, la carcasse d’une bête dépouillée par les fourmis. Ces curiosités composaient une sorte de musée dans un grand logis où les rats couraient derrière des restes de tapisseries à ramages. Insensiblement, le voisinage de cette flânerie intelligente calmait la fièvre des grands chemins qui nous tient tous un peu. Il était admirable avec ses proches. Ce savant parlait le patois natal, et se mettait sans effort à la portée des humbles. Sa