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côté d’eux : les rôles sont renversés. C’est l’habitant de la ville qui est gauche, emprunté, trop poli ou trop hautain, presque toujours dupe du paysan finaud. C’est le provincial qui est à son aise, et qui voit clair. Contre le premier il serait facile de retourner la satire. Seulement, Paris a le monopole littéraire, et l’on ne raille que les provinciaux.

Cette différence d’optique tient tout d’abord à la différence de milieu. Le meilleur moyen de n’être pas ridicule est de se tenir à sa place. La vulgarité, cette peste des sociétés modernes, n’est, après tout, que 1-a trace d’un effort prématuré pour s’élever au-dessus de sa condition. Un laboureur à sa charrue, un semeur sur son sillon, une maritorne dans sa basse-cour ne sont pas vulgaires. Ils le deviennent quand ils endossent la livrée bourgeoise. — Pourquoi, disait une grande dame assez dédaigneuse, les bouviers de la campagne romaine ou le dernier des chameliers arabes ont-ils une si fière tournure, tandis que vos paysans laborieux, vos commis, vos marchands, ont une mine si plate ? — Pourquoi ? C’est que les premiers se prélassent noblement sur leur fumier et n’ont point l’idée de changer leur sort, tandis que les autres sont travaillés du besoin incessant d’imiter la classe supérieure. Ainsi de nos petits bourgeois.*Toutes les fois qu’ils veulent singer les grandes villes, ils prêtent à rire. Le modèle sera toujours fort au-dessous de l’original. Il est telle de ces familles qui occupait une situation honorable dans une ville de second ordre. Elle était estimée, recherchée, et la crainte de l’opinion la maintenait: à son rang. Il fallait trier ses relations, se surveiller. L’ambition l’amène à Paris. Elle s’y installe médiocrement, dépense au-delà de ses ressources, accepte des liaisons de rencontre, et, sous prétexte de beaux-arts, tombe dans la bohème. On y fait de la musique de pacotille, on y ramasse les fruits secs du Conservatoire. Cet intérieur ressemble plus à une loge de concierge qu’à un salon d’honnêtes rentiers.

Non-seulement il est bon de rester chez soi ; mais il ne faut pas se croiser les bras, plisser les lèvres, prendre des airs et regarder en pitié la démocratie. Les petites villes, à cet égard, sont au-dessous des campagnes. Dès que dix bourgeois habitent la même rue, ils fondent une coterie et tiennent à distance le populaire. Si par hasard, ils sont jusqu’à vingt, leur superbe ne connaît plus de borne. Ils se visitent, s’admirent, lisent l’Univers et s’entretiennent dans une commune ignorance des faits qui crèvent les yeux. Chacun se dit : Quel est le gouvernement qui sied le mieux à l’air de mon visage, à mes traditions de famille ? Personne n’a l’idée de regarder par la fenêtre et de demander d’abord ce qui convient à la nation. Qui interrogerez-vous sur les campagnes environnantes ?