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conduite comme une coquette à l’égard d’un homme vraiment épris. Presque aussitôt sur la plage même de Newport, le hasard le jette en présence de la veuve infiniment gracieuse et désirable de cet homme, Mrs Octavia Gifford. Celle-ci, trop instruite du passé, a la tentation diaboliquement féminine de satisfaire une sorte de jalousie posthume et de venger l’époux dont elle n’a pas été l’unique amour, sur le mari de la cruelle dont autrefois Helvétius Gifford fut victime. Et elle se venge, en effet, et elle souffre, car elle s’est prise dans ses propres filets, la comédie qu’elle joue est devenue peu à peu réalité. C’est une nouvelle illustration du proverbe: On ne badine pas avec l’amour. Mais est-ce de l’amour vraiment qu’elle éprouve?.. L’analyste habile qui conduit cette brûlante expérience se demande si l’amour et la haine ne sont pas une même passion, différente seulement dans les effets, comme certaines substances dangereuses peuvent être tantôt un poison mortel, tantôt un moyen au contraire de ramener le malade à la santé. Quoi qu’il en soit, Octavia est perplexe; elle avait cru dans sa fierté ne pouvoir s’attacher qu’une fois et voilà que l’amour sincère qui l’effleure en passant lui donne soudain une plus haute conception de ce qu’elle n’avait jamais véritablement ressenti. Imaginez une saine et vigoureuse bouffée de brise marine passant à travers l’atmosphère attiédie d’un salon. Est-elle donc infidèle aux premières tendresses ? Ne serait-elle pas fidèle plutôt, en dépit de ses changemens, à l’idéal unique qui une fois ne lui a pas tenu parole tout à fait ? Ce sphinx se trouve aux prises à son tour avec une énigme troublante. Oliphant lui est cher, voilà tout ce qu’elle sait, et elle s’en assure alors qu’il n’est plus temps, quand la mort implacable a résolu le dilemme.

Signalons la dernière scène, celle où l’on voit Oliphant périr sur le bateau qui, après une épouvantable épreuve, le ramenait vers le bonheur recouvré. Il le sacrifie, ce bonheur, à une créature humaine, la première venue rencontrée par hasard au milieu d’un naufrage. L’inconnue dont il sauve l’existence au prix de la sienne n’a rien qui la recommande, rien, sauf qu’elle est femme et qu’elle est mère, qu’elle présente à ce double titre une image de la vie en sa forme la plus sacrée. Ce ne sera pas sans raison qu’Octavia portera un deuil éternel, sous lequel sans doute se déchaîneront des remords plus cruels encore que ses regrets.


II.

Avec la Sœur de misa Ludington[1], qui, imprimée à Edimbourg, fait brillamment son chemin en. Angleterre et en Amérique,

  1. Miss Ludington’s Sister, a romance of immortality, by Edward Bollamy. Edinburgh, David Douglas.