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et d’Ida. N’aimez-vous pas mieux croire que notre jeunesse est immortelle quelque part plutôt que de vous la représenter défigurée par l’âge? Non, le paradis n’est pas seulement un jardin de fleurs fanées ; nous y trouverons épanouis les roses et les lis.

Mrs Slater croit découvrir d’abord que le cerveau de son amie n’est pas très sain, puis elle devient songeuse quand miss Ludington lui expose, devant le portrait d’Ida, les raisons qui l’ont conduite à penser ainsi. Ce portrait, aussitôt qu’elle l’aperçoit, fait jaillir de ses lèvres un cri de surprise :

— Vous me trouvez ressemblante? dit miss Ludington, satisfaite.

Mais Mrs Slater n’explique pas la cause de son premier saisissement; de plus en plus elle réfléchit, elle regarde Paul avec un extrême intérêt; son dévoûment romanesque au portrait d’Ida paraît l’avoir touchée. Sans être d’une grande culture intellectuelle. Mrs Slater n’est pas sotte, elle se fait expliquer les doctrines voisines de la métempsycose qui ont pour ce jeune homme la force d’une religion ; elle les discute, évidemment sceptique.

— Rien de pareil ne s’est produit dans aucune séance de spiritisme, dit-elle; on n’y a jamais vu apparaître sa personnalité d’autrefois.

— Bah ! le spiritisme n’est que supercherie.

— C’est bien possible,.. vous devez avoir raison,.. pourtant j’ai été témoin de choses extraordinaires accomplies grâce à lui, et, si j’avais vos idées, j’irais certainement trouver un certain médium de New-York dont on m’a parlé.

— Les médiums, autant de charlatans !..

— Oh! certes, on aurait tort de se fier à eux; règle générale, ils vivent de la crédulité de leurs dupes. N’importe; le médium que je recommande, une femme, vous ferait peut-être voir celle-ci...

Et Mrs Slater désigne le portrait.

À cette seule pensée, Paul pâlit, miss Ludington s’agite. Ils ne peuvent admettre la bonne foi d’une personne qui, moyennant cinquante dollars, donne des séances particulières où se matérialisent les esprits. Honteux de leur faiblesse, ils se décident néanmoins à voir Mrs Legrand, qu’elle soit ou non capable d’imposture. Mais Mrs Slater ne se rappelle plus l’adresse du médium ; après avoir promis de la chercher, de l’envoyer, elle oublie quelque temps de le faire, sous prétexte que son mari a trouvé une position à Cincinnati et qu’elle est toute aux préparatifs du départ ; puis, finalement, l’adresse arrive par quelque voie indirecte, et presque aussitôt un rendez-vous est pris, un rendez-vous que Paul, en dépit de ses doutes, attend avec une anxiété, une fièvre, une ivresse impossibles à décrire.