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non, la fugitive laisse derrière elle une lettre où tout se trouve surabondamment expliqué : elle n’est pas Ida Ludington, elle est Ida Slater, la fille de Mrs Slater, qui lui avait donné le prénom d’une ancienne amie. Son père s’est déguisé sous la barbe de magicien du docteur Hull pour exploiter la crédulité publique. Une affreuse misère le poussait à faire passer le devoir de nourrir sa famille avant toute autre considération. Il a été secondé par une parente, Mrs Legrand, qui n’a jamais eu de maladie de cœur et qui n’est pas morte, nous le soupçonnions déjà. Toutes ces fourberies sont venues peu à peu à l’esprit des faux médiums. Quelques-unes leur ont été involontairement suggérées par Paul lui-même. Mrs Slater ayant visité le village reconstruit de Hilton, a été frappée de la curieuse ressemblance de sa fille avec le fameux portrait ; elle a pensé que les théories bizarres développées devant elle pourraient être l’objet d’une utile exploitation. Ida Slater est bonne comédienne, elle a déjà figuré dans les scènes d’apparition dont le cabinet noir de Mrs Legrand possède le secret, elle se fera sans peine adopter par miss Ludington, puis épouser par Paul. Et la jeune fille se prête d’autant plus volontiers au jeu qu’on lui propose qu’à première vue elle s’est éprise de ce beau garçon qui la regarde comme on ne l’a jamais regardée de sa vie.

Rien ne reste obscur, nous avons la clé des moindres détails du subterfuge. Il n’y avait pas de porte secrète dans l’appartement des Slater, mais le plafond du cabinet s’abaissait à volonté ; on descendait aisément de l’étage supérieur au moyen d’une échelle ; cette manœuvre produisait même le courant d’air précurseur de l’apparition. Et la robe fantôme? On l’avait trempée dans une préparation chimique pour qu’elle tombât en poussière. Tout étant concerté d’avance, Ida, serinée avec soin, n’eut aucune peine à garder dans sa mémoire les prétendus souvenirs de Hilton : elle avait répété tout ce que savait sa mère sur la jeunesse de miss Ludington. Du reste, l’excellente demoiselle chérissait tant son rôle de dupe! il eût été si facile de prolonger son erreur ! Mais la conscience était tardivement intervenue chez Ida. Transplantée au milieu de braves gens, elle avait conçu tout à coup l’horreur d’elle-même. D’abord elle put réussir à se donner le change. Elle rendait, en somme, sa bienfaitrice heureuse, elle lui prodiguait les marques de tendresse et de vénération, elle l’avait entourée d’une sollicitude filiale durant certaine maladie survenue peu après son entrée dans la maison. Un dévoûment absolu ne pouvait-il racheter sa faute?.. Non, puisque miss Ludington exprimait l’intention de faire d’elle son héritière; non, puisque Paul lui prouvait l’abnégation sincère d’un amour sans pareil. C’était impossible,