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lui prêtons aujourd’hui d’importance. En attendant, ce qui n’est pas douteux, c’est qu’avec tous leurs défauts, si évidens, si monstrueux, les drames d’Hugo (j’entends ses drames en vers, Hernani, Ruy-Blas, les Burgraves) non-seulement supportent la lecture, mais, tels quels, sont des chefs-d’œuvre ou plus exactement des prodiges de l’art d’écrire en vers; et je ne crois pas qu’on en puisse autant dire de Christine ou de Caligula. Dumas écrivait mal en vers, et guère mieux en prose, ou plutôt il n’écrivait pas; et quand ses drames auraient d’ailleurs tous les mérites qu’on y veut voir, il leur manquerait encore d’être écrits. Lorsque l’on veut citer des exemples fameux de cacologie dramatique ou de galimatias théâtral, c’est à ce pauvre Scribe que l’on est accoutumé d’aller les demander, et le fait est qu’il les donne toujours. Mais il faudrait se souvenir que Dumas n’en est pas moins riche, et, pour ma part, plus romantiques, plus empanachés qu’ils sont, j’ose les préférer aux plus divertissans de Scribe J’en ai trouvé l’autre jour un que je me reprocherais de ne pas ici consigner pour preuve. « Le capitaine Paul est le même que l’Anglais Jones, et l’Anglais Jones est le gentilhomme que vous avez devant les yeux.:. Si, d’ailleurs, vous avez quelque préférence pour une nation, je serai ce que vous voudrez... Français, Américain, Anglais ou Espagnol. Dans laquelle de ces langues vous plait-il que je continue la conversation? » L’interlocuteur du capitaine Paul se décide pour le français ; du moins est-ce Dumas qui le dit, et sans doute se l’imagine; moi, j’aurais cru plutôt à de l’américain.

On se rappellera peut-être à ce propos que, pour justifier la manière paternelle, et un peu la sienne aussi par la même occasion, le fils a exposé, dans une de ses Préfaces, toute une théorie à lui du style dramatique. Ce que l’on critiquerait à bon droit dans la prose de l’orateur, de l’historien ou du romancier « fait beauté, » comme disaient nos pères, dans celle de l’auteur dramatique ; les plus grands effets, au théâtre, les plus rares, les plus surprenans, se tirent de l’incorrection même ou du franc solécisme; et mal écrire, c’est bien parler. Je force à dessein l’expression, pour me faire comprendre plus vite, et d’ailleurs sans aucun scrupule. C’est qu’en effet, et jusque dans ces termes excessifs, la théorie ne laisse pas de contenir une part de vérité. L’art d’écrire n’est pas identique à lui-même, comme le croient les grammairiens ou les lexicographes, et il y a une infinité de manières de bien écrire, qui varient selon les genres, c’est-à-dire selon la nature de l’effet à produire. Mais aussi, selon les personnes, il y a une infinité de manières de mal écrire, et ce n’est point du tout l’incorrection ou les licences de sa syntaxe que l’on s’est jamais avisé de reprocher au vieux Dumas.

Si Dumas écrit mal, c’est parce qu’il écrit sans respect ni souci de la phrase et du mot; parce qu’il se contente, en prose comme en