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des secrets d’office ou des mystères d’alcôve, si vous croyez que l’on se moque de vous quand on vous rapporte au long les entretiens amoureux de Louis XIV et de Mlle de La Vallière, si vous vous indignez enfin que l’on fasse d’Aramis et d’Athos, de Porthos et de d’Artagnan les instrumens de la grandeur de Mazarin ou de Richelieu, ne lisez pas Dumas. Mais vous pouvez le lire, le lire sans ennui, le lire même avec plaisir, si vous réfléchissez que l’histoire publique ne fait en quelque sorte qu’effleurer les sommets des choses, si vous songez à ce qu’il y a, dans la vie d’un ministre ou d’un roi, d’intervalles inoccupés, si vous vous demandez de quelle manière ils pourraient autrement les remplir que le commun des hommes, et si vous accordez enfin au romancier le droit de les remplir comme il lui conviendra pourvu qu’il vous amuse. Et, au fait, il faut qu’il nous amuse bien peu s’il ne réussit pas à l’obtenir de nous. Car nous aimons tous à connaître ce que l’on appelle, d’un mot bien expressif, les dessous ou l’envers des choses, et nous nous prêtons toujours avec une complaisance naïve aux mensonges plus ou moins habilement dorés de quiconque nous montre cet envers ou nous révèle ces dessous. S’en rendait-il compte, je l’ignore, et je n’irai point le rechercher; mais c’est sur ce sentiment, très humain, que Dumas a fondé son succès, et l’expérience a prouvé qu’il n’avait pas eu tort. Je voudrais seulement que l’on n’oubliât pas que, pour être «très humain, » ce sentiment ne laisse pas d’être vulgaire; que, futile dans son principe, cette curiosité de concierge est stérile, quand elle est satisfaite; et que la satisfaction qu’elle nous procure, n’ayant rien d’intellectuel, n’a rien non plus de littéraire. Les romans de Dumas ne sont pas des romans littéraires.

Il est facile de le démontrer. Combien Dumas a-t-il écrit de volumes? On ne saurait le dire et je ne crois pas que lui-même fût sûr de son compte. Mais quelque nombre qu’il en ait écrit, et ce nombre est considérable, il a pu les écrire sans qu’il s’y rencontre une page que l’on en voulût détacher, une situation vraiment et largement humaine, un caractère seulement qui se tienne. Des aventures invraisemblables, et d’autant plus invraisemblables qu’il persiste à les encadrer dans la réalité de l’histoire; des dialogues interminables où tout le monde parle la langue et surtout le langage de Dumas; des réflexions saugrenues quand elles ne sont pas puériles; d’ailleurs pas ombre d’élévation ou de délicatesse, mais de la bonne humeur, et tout cela roulant au hasard d’une certaine verve impétueuse, hardie, intarissable: voilà, je crois, les romans de Dumas, et je ne parle que de ceux que l’on lit. On me permettra de n’invoquer ici ni le nom de George Sand, ni celui de Balzac. Mais quelques caractères du roman d’Eugène Sue, des Mystères de Paris ou du Juif errant, sont demeurés populaires. N’en est-il pas même un ou deux, si j’ai bonne mémoire, qui sont devenus presque proverbes? Mais je défie bien le plus assidu lecteur d’Alexandre Dumas de me