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portant son fardeau sans plier, retrouvait des finances libres et puissantes. C’est la situation en 1876 : quelques années passent, les républicains sont au pouvoir, maîtres de tout, disposant de tout, inaugurant l’ère nouvelle : où en est-on aujourd’hui ? L’esprit d’aventure et de confusion semble être rentré par degrés dans l’administration financière. En peu d’années, les dépenses ordinaires se sont trouvées augmentées de 4 ou 500 millions pour suffire à des convoitises, à des calculs de parti, pour satisfaire des intérêts électoraux, pour rallier des clientèles. Le déficit a reparu dans le budget, grossissant d’heure en heure. En pleine paix, sans qu’il y ait eu une circonstance extraordinaire, une nécessité pressante, la dette publique s’est accrue de 7 ou 8 milliards. On a emprunté pour les départemens et pour les communes comme pour l’état, et ces jours derniers encore on discutait, on votait un emprunt nouveau de 320 millions pour alimenter les caisses des écoles et des chemins vicinaux. On a éiourdiment alourdi la dette sans calculer qu’on s’exposait à épuiser d’avance un crédit dont on pouvait avoir besoin dans une crise imprévue. Et il ne faut pas dire que tout cela se retrouve, que les emprunts ravivent les sources de la richesse, qu’on a créé ce qu’on appelle d’un mot assez barbare : « l’outillage industriel, » que pour le pays les bienfaits sont en proportion de l’accroissement des dépenses. On s’est vanté d’avoir porté, depuis quinze ans, le budget de l’instruction publique de 21 millions à 136 millions. Voilà qui est au mieux. Seulement ce qu’on n’ajoute pas, c’est qu’il y a quinze ans il y avait déjà 4 millions d’élèves dans les écoles et il y en a maintenant 4,600,000 : de telle façon que pour 600,000 élèves de plus, ce budget se trouve augmenté de 115 millions. C’est ainsi en tout : on a dépensé quelquefois avec de bonnes intentions, nous le voulons bien ; mais on a dépensé sans prévoyance, sans mesure, et la pire des choses est de se payer encore d’illusions, d’un vain optimisme officiel lorsqu’en définitive la situation financière, comme la politique coloniale, se solde pour le pays par des mécomptes et des inquiétudes pour l’avenir, par des déficits et peut-être la nécessité de nouveaux impôts.

Et maintenant les faits sont là, évidens, palpables. La vérité est qu’à cette heure décisive, à la veille des élections, la situation générale du pays est, sinon irréparablement compromise, du moins assez peu assurée, et cette situation, elle est l’œuvre d’une politique qui, depuis quelques années, n’a réussi qu’à abuser des finances, à engager la France dans des aventures lointaines en même temps qu’elle réveillait par des violences de secte toutes les divisions intérieures. Toute la question est de savoir aujourd’hui si on aura le bon sens, le courage de s’arrêter, de revenir sur ses pas, de se rattacher à une politique plus ménagère des intérêts permanens du pays, de la paix des conscience, ou si, par une obstination de parti, on persistera jusqu’au bout dans un système qui a si médiocrement réussi. Tout ce qu’on peut