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terres, et le ministère risque fort d’en être pour ses frais de libéralisme irréfléchi et agité. Il tente une expérience peut-être assez hasardeuse, pour son parti comme pour l’Angleterre elle-même, avec son torysme démocratique, qui, sans réconcilier l’Irlande, peut certainement créer d’autres dangers.

Les affaires des grandes puissances sont les affaires de tout le monde par les conséquences qu’elles peuvent avoir pour la politique universelle. Les difficultés que l’Angleterre a sur les frontières de l’Afghanistan avec la Russie, sur les bords du Nil avec tous les cabinets sont certainement de l’ordre le plus général, le plus sérieux, et ont par la force des choses un caractère européen. On en viendra à bout en dépit des fâcheux pronostics, il n’en faut pas douter ; on les résoudra, ou tout au moins on les dénouera à demi pour le moment, parce que la paix, qui est le premier désir des nations civilisées, vaut bien quelques sacrifices. Jusqu’à quel point le nouveau ministère anglais peut-il compter sur le concours du grand médiateur, du grand « courtier » de l’Europe, M. de Bismarck, pour sortir de tous ces embarras qui lui ont été légués ? Le chancelier d’Allemagne a pu voir sans déplaisir la chute de M. Gladstone, l’avènement d’un cabinet conservateur à Londres : il ne se compromettra sûrement pas pour aider l’Angleterre et pour ménager quelque succès à lord Salisbury ; il n’ira pas au-delà de ce qu’il croira utile à sa politique, à ses intérêts, à ses combinaisons. D’une manière générale, on peut dire que M. de Bismarck doit être plus que jamais favorable au maintien de la paix parce qu’il y est intéressé, parce qu’il a lui-même bien des raisons apparentes ou secrètes, avouées ou inavouées, de ne pas trop s’engager, de ne pas rouvrir et de ne pas laisser rouvrir par d’autres l’ère des grandes complications extérieures. Il a une raison souveraine, dont il ne peut pas parler, qui n’est pas la moins puissante : le grand âge et la santé déclinante de l’empereur Guillaume, qui essaie en ce moment de retremper ses forces à Gastein. Il a sa politique d’extension coloniale en même temps que ses affaires intérieures, qu’il ne conduit pas toujours à son gré en dépit de sa puissante volonté. Il a l’œuvre laborieuse et perpétuelle de l’unification de l’empire, à laquelle se rattache cette question du duché de Brunswick, qui est demeurée en suspens depuis un an, depuis la mort du dernier duc, et que le chancelier avait cru prudent d’ajourner jusqu’après la session parlementaire.

Aujourd’hui le Reichstag est en congé, il est séparé depuis quelques semaines déjà, et la question du Brunswick est entrée en scène. Il s’agit tout simplement de fixer la destinée d’une principauté souveraine reconnue jusqu’ici dans l’empire, et considérée, depuis la mort du dernier prince, comme tombée en déshérence. Le duché de Brunswick, il est vrai, a un héritier légitime : c’est le duc de Cumberland, fils de l’ancien roi de Hanovre ; mais voilà la question ! M. de Bismarck ne